blog de François Coupry

Vilaines pensées 120 : L’idiot qui omet de mentir

V

Il était une fois un roi, un roi moyen, ni bon ni mauvais, qui avait une fille, et qui voulait la marier, en un pays aussi agité que le reste du monde.
On doutait un peu du bon caractère de sa fille, on se demandait si sa beauté proclamée était bien ciselée, mais la beauté n’est qu’affaire de goût tandis que l’attrait du pouvoir est une cause commune chez les fourmis, les tigres et les humains ; ainsi, les prétendants furent-ils nombreux.
Dans les donjons tarabiscotés du château, dans les hautes villes commerçantes, et jusque aux campagnes herbeuses, pleines de potirons, chaque sujet pouvait donner son avis sous les chênes, n’allez pas croire qu’il ne s’agissait point d’un royaume moderne. Mais si les suffrages de tous étaient attendus, l’opinion la plus considérée restait celle des raconteurs – qui, d’estrades en estrades, commentaient, analysaient, rapportaient, critiquaient, influençaient à qui mieux mieux.
Les prétendants se méfiaient des raconteurs : donc la plupart d’entre eux avaient peaufiné leurs arguments, et surtout avaient réorganisé leur histoire personnelle, afin de paraître bien propres, en privilégiant des témoins de bonne moralité, parfois en brûlant des preuves de vilenies ou en falsifiant des documents qui auraient pu montrer de louches combines. Et donc ils se présentèrent à la cour et devant les assemblées populaires l’âme pure et le cœur vierge ; et les raconteurs le racontèrent, la main sur l’estomac.
Or, l’un des prétendants, qui justement se… prétendait le plus honnête, refusa de se prêter à ce jeu d’enjoliver sa vie ou de songer à préparer des ripostes à quelques accusations, et par dignité, ou plutôt par orgueil… négligea de se souvenir que durant sa jeunesse il avait pris des poireaux dans le cimetière communal afin de nourrir ses parents, ce qui était légal mais fort discourtois. Même chez les nobles, il y a du vulgaire.
Les autres prétendants eurent vent de cette histoire ancienne qui agitait les saules, et la racontèrent aux raconteurs – qui, les mains en porte-voix autour de leur bouche, la claironnèrent ; le roi en fut meurtri. Il savait que ce prétendant avait la préférence des commerçants des hautes villes et des cultivateurs de potirons des basses terres.
Des pies surveillaient le royaume et se disaient : — Les humains sont les plus tarabiscotés des êtres. — Pauvres humains ! — Chez eux, quand on n’arrange pas à l’avance les événements, on est perdant. — Par honnêteté il a oublié de tricher avec son passé, il est foutu. — Il faut mentir, sinon on est cuit, cuit et recuit. — Crétins d’humains !

Ajouter votre commentaire

blog de François Coupry

Archives

Articles récents

Commentaires récents

Catégories