blog de François Coupry

Vilaines Pensées 123 :
L’art de bâtir des projets heureux

V

Il était une fois, au bord de la mer du Nord, un riche petit royaume. Le roi, qui se sentait fatigué, décida de marier sa fille aînée, afin d’assurer sa succession. Il désirait un gendre malin et audacieux : il organisa un concours, dont le jury se composait de vieillards, censés être les plus sages, et qui devaient sélectionner la meilleure réponse à la plus difficile des questions : comment être heureux ?
Plus de cent jeunes prétendants peaufinèrent des programmes, mais, par démagogie, afin de flatter l’âge du jury et croyant toucher les préoccupations des vieillards, ils proposèrent la distribution de fauteuils moelleux et de chaussons fourrés, tout en vantant la paix des ménages.
Ils furent tous recalés par les ancêtres outrés de cette caricature de leurs soit-disant besoins, et qui désiraient des perspectives plus aventureuses, des visions d’avenir, des innovations décoiffantes.
Une nouvelle vague de candidats s’inscrivit, et l’un d’entre eux, par démagogie plus subtile, décida de battre la campagne, de villages en villages, pour demander aux habitants ce qu’ils souhaitaient pour le Bien commun. Hélas, chacun répondit en fonction de ses aspirations immédiates, ne voyant midi qu’à sa porte : des tuiles plus solides sur sa maison, une gare en face de son atelier, des horaires aménagés pour lui à l’usine, des poissons plus nombreux dans le lac, un mari moins bête et moins sale. Le jeune homme se retrouva avec une interminable liste de propositions hétéroclites, que l’on ne pouvait partager.
Mais quand il revint au château, ses concurrents, à voir la liasse épaisse des feuillets de son programme, crurent qu’il tenait dans ses mains les clefs du Bonheur, et ils refusèrent de dévoiler leur propre plan, d’autant plus qu’il ne voulait pas dévoiler le sien, étant persuadé de décevoir.
Alors, en cachette et craignant les espions, les prétendants reformulèrent leurs réponses, envisageant les hypothèses les plus réjouissantes, pluies d’or dans les vallées, prolongation illimitée de l’espérance de vie, festins gratuits chaque semaine, création de mines de diamants. Mais aucun n’osa montrer son projet, étant persuadé que celui des autres serait mieux. Et le temps passa, la fille du roi vieillit, comme le royaume dont les villes tombèrent en ruine, les murs s’écroulèrent dans la mer du Nord.
— Ils ne sauront jamais comment être heureux, ricanait un corbeau. — Ils sont morts à force d’attendre la réponse. — S’ils avaient cherché le malheur, ils seraient en vie, contents d’avoir trouvé. — Pauvres humains !

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