blog de François Coupry

Vilaines Pensées 134 :
Lettres persanes, VI

V

Lettre de Nargum à Usbek. Moscou, sous une lune d’avril.
On m’a écrit d’Ispahan que tu étais à Paris, Usbek, et Roxane me communique le contenu de tes lettres. Tu affirmes que la clarté est une maladie française, mais tel n’est pas l’avis de la Sainte Russie.
Ici, on juge les Français plutôt obscurs, et par exemple personne ne comprend l’usage constant, chez eux, de l’adjectif « républicain » qu’ils agitent à chaque phrase. Cette république une et indivisible parait, ici, ressembler par trop au credo de la Trinité, également une et indivisible, mais bizarrement toujours accolé chez eux à une « laïcité », autre idée étrange quand on sait que le moindre de nos usages vient des religions.
Les Russes, du moins ceux qui ont la pratique courante de l’avion, s’affolent dès qu’un Français leur parle de la république, car il l’énonce avec tellement de foi et de contrainte. Ceci n’est pas républicain, crie-t-on souvent, à tel point que le visiteur se demande sans cesse si se promener seul sur un trottoir, manger épicé, dire l’origine maternelle d’un fiancé ou changer de file d’attente serait ou non bien conforme ! Pourrais-tu — ô Usbek voyageant en France — mieux m’éclairer ?
Cette obscurité se manifeste encore, d’après les moscovites, dans la manie de ce peuple gallo-romain de voir partout des secrets, des cabinets noirs dont les connaissances indiscrètes manipuleraient les marionnettes politiques, les influenceraient. Mais peut-être les Russes ont-ils trop l’habitude des complots pour admettre qu’une autre nation puisse s’en offusquer, et les dénoncer au nom d’une hypocrite transparence.
Cependant, en cette période électorale, les complots iraient pour eux plus loin qu’une manie ordinaire : on soupçonne, notamment chez celui qu’avec humour tu surnommes le Triste Sourcilleux, un vote secret qui échapperait aux scientifiques sondeurs. Comme si un peuple souterrain, tout de noir vêtu et tapi dans les catacombes des urnes, attendrait le dernier moment pour surgir en nombre et dévoiler son vote, afin d’imposer un choix inattendu, renversant. M’expliqueras-tu ce goût du mystère, des coups de théâtre, en cet État soi-disant translucide ?
Mais je suis bien conscient de la mise en abyme que procure cette vision moscovite proposée par un iranien à un autre iranien qui tente de décrire l’étrangeté de la France. Et qui doit continuer — ô Téhéran — à te confier le fin fond des illusions. (À suivre.)

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