blog de François Coupry

Vilaines Pensées 135 :
Lettres persanes, VII

V

Lettre d’Usbek à Nargum. Paris, après Pâques.
Pourrais-je honnêtement te répondre, Nargum, quand tu me questionnes au nom d’une vision russe de la France, et que je ne puis avoir qu’une vision persane, des réponses d’un autre orient que Moscou ?
Certes, comme les moscovites, et comme peut-être les Américains, j’avance sur la pointe des pieds quand je parle avec des Français de la république laïque. Pour se rendre intéressants, cette idée ils l’ont proclamée universelle, ils sont les seuls à le croire, et je pense que cela émane moins de la raison que de la magie. Mais ne divulgue point — ô Nargum à Moscou — ces propos à l’ambassade de France, au risque de les voir publiés à Paris, je tiens à l’estime de mes amis des bords de Seine.
Pour arrêter de proférer, selon eux, des sottises, je donne la parole à un Européen, un certain Piano qui vient de Milan, ou de Naples, je ne sais.
« La France, me disait-il, est déstabilisée : aux divisions tranquilles, la gauche et la droite, les pauvres contre les riches, se superpose un autre conflit, la souveraineté nationale face à l’éclatement mondial. Mais ces nouveaux repères sont eux-mêmes troublés, car leurs porte-paroles s’émiettent en des clans composites, une guerre intellectuelle.
« Cette guerre, poursuivit notre Piano, pouvant, sous le spectre du chômage, soulever la rue, vous avez eu raison de noter, Usbek, qu’aucun candidat ne veut réellement gagner. Chacun, soit avec trop de rigueur, soit avec trop d’utopie, soit avec trop de nuances, manie les finances avec un brio honteux, nous prouvant que 2 et 2 font 8, ou 3, ou 10, mais jamais 4. De plus, aucun, sauf peut-être un, ne peut se prévaloir d’une majorité aux prochaines législatives : on part en voyage sans avoir réservé l’hôtel, sans billet d’avion ou de train, et même sans destination !
« Mais, concluait Piano, cet échec programmé ne peut s’avouer. Aussi a-t-on recours, comme depuis les débuts de l’humanité, à la fameuse dramaturgie, un suspense qui sublime le réel, l’oublie. Et tous s’en mêlent, journalistes, statisticiens, évoquant même complots et votes cachés, pour occuper le bon peuple avec une série télévisée où le coupable inattendu ne sera révélé qu’à la fin. Ainsi le vote se fera comme par jeu, une plaisanterie désespérée mais jouissive, en ce pays qui se veut si rationnel. »
Je ne sais si ce Mario Piano a magiquement raison, mais je continuerai — ô Téhéran — à te chanter le fin fond des illusions. (À suivre.)

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