blog de François Coupry

Vilaines Pensées 145 :
Vivement le dix-huitième siècle ?

V

Monsieur Piano, qui a l’œil bleu et impitoyable, me fit remarquer, l’autre soir, que les citoyens européens — et certainement aussi ceux du reste du monde — vivent aujourd’hui comme au dix-septième siècle.
Certes, on admet, telle une évidence dont on ne fouille point les fondements branlants, que nous serions devenus égaux en droits. Mais les fortunes et les héritages nous rangent toujours dans des conditions hiérarchisées, et nous n’avons pas tous les mêmes devoirs.
Ainsi les gens aisés ne doivent pas manger la même cuisine que les pauvres, sinon l’on taxerait les premiers de populistes faisant semblant d’aimer les ragouts, et l’on qualifierait les derniers de snobs qui singent l’aristocratie capitaliste en osant goûter des délicatesses ouvragées ; de même que nous ne devons pas fréquenter les mêmes lieux, quand nous sommes nés en banlieue, dans un village ou dans les maisons cossues des enfants des élites, au risque d’avoir l’air déclassé, ou bien parvenu.
S’il devient de bel usage de pouvoir devenir rapidement riche en créant nos propres sociétés, passer d’une position sociale à une autre reste difficile, ardu — la rareté de telles réussites et des mésalliances en dit long sur les déterminations intellectuelles et familiales. Les valeurs des propriétés, de l’argent, de la noblesse innée, demeurent immuablement prédominantes sur celles du travail, de l’effort et des compétences.
La prégnance des modes, la fascination du luxe et la nécessité de jouer un rôle poussent à privilégier des habits voyants, chapeaux colorés, redingotes ornées, culottes étroites, qui gardent la femme dans ses attributs de maîtresse subordonnée, et le mâle dans sa situation de séducteur méprisant — quand les êtres d’en bas, ou les générations qui s’imaginent révoltées, accentuent leurs différences avec des marques artificielles de pauvreté, jeans savamment déchirés, coupes de cheveux sabotées.
Si nous bramons l’égalité, la démocratie, et même si nous nous croyons insoumis, nous aspirons à élire un roi ou un chef incontestable, s’entourant d’une cour issue des Grandes Écoles. Seule cette cour — où nul n’entre s’il n’est pas du sérail — et les poètes, les journalistes de la cour, pourront jouir des fêtes, c’est-à-dire de la représentation télévisée et numérisée sur les réseaux vulgaires, afin de magnifier l’universalité de la Grandeur.
Des scientifiques, qui ne sont point écoutés, tout juste pour tolérer l’idée que la terre ne serait pas le centre du monde, se demandent quand va advenir le dix-huitième siècle, celui des lumières et des révolutions ; mais l’on sait que l’Histoire ne se répète qu’en farce — et attrape-nigaud.

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