blog de François Coupry

Vilaines Pensées 146 :
La supériorité animale

V

Un jour, une biche aux longs cils tua, dans la brousse, d’un coup de sabot un chasseur humain. Elle laissa le mort sur place, puis revint le chercher, ne le retrouva plus dans les herbes. C’était une âme sensible et distinguée.
Alors, elle se rendit au commissariat animal, faire aveu de son crime, mais quand le chien en chef lui demanda l’identité de celui qu’elle avait tué, elle répondit qu’elle ignorait son nom et où se trouvait le corps. L’affaire alla jusqu’à l’éléphante, la juge en titre, qui fut fort embarrassée. Car la biche se sentait coupable, voulait expier son coup de sabot en finissant sa vie au zoo, afin de demeurer moralement pure et droite.
Imaginons un même drame chez les humains… Le commissaire, devant cette impuissance à produire un cadavre, et même à le nommer, aurait classé cette affaire en attendant une preuve, un corps, mettant sur le compte du délire ou de l’alcool cet aveu de meurtre, et puis c’est tout, basta.
La clause de délire n’existant point chez les sobres animaux, la juge éléphante ordonna une enquête plus poussée : en compagnie d’un lion peureux, d’un chat au moral d’acier et d’un singe empaillé, notre brave biche explora les cimetières humains du voisinage, cherchant un cadavre mutilé par un sabot. Les humains s’inquiétèrent de ces violations de sépulture, le lion s’affolait de la présence nocturne de la lune, le chat de fer jouissait d’arracher les couvercles des cercueils mais la meurtrière jamais ne découvrit sa victime parmi les corps ainsi exhumés.
Quant au singe empaillé, lui, il songeait. Et une nuit, sur un monticule de terre d’un cimetière, il s’adressa à la biche :
— Pourquoi veux-tu imiter les autres singes, ceux qui pensent debout sur deux pattes ? Pourquoi te sens-tu coupable, comme ces humains qui, au fond, s’arrangent toujours avec leur conscience ? Pour te croire supérieure à eux ? Tu le serais davantage si tu t’affirmais innocente, méprisant leur morale. De plus, même en leur morale, tuer un chasseur n’est que justice.
Après de longues discussions, la troupe, le lion tremblant, le chat fier, la biche sentimentale et le singe firent part de leur conclusion à l’éléphante. Qui, après réflexion, déclara tous les animaux innocents de nature.
Et qui, d’un coup de trompe, écarta les herbes de la brousse, dévoilant le cadavre du chasseur… Les juges humains, qui ne pouvaient décidément pas se défaire de leur manie de culpabilité, désignèrent aussitôt arbitrairement un assassin, le fils du mort : il fut pendu à l’aube.

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