blog de François Coupry

Vilaines Pensées 156 :
Une fable trop vraie pour être vraie

V

Au moment de s’endormir, ce jour où il fut élu Président de la république, monsieur Piano décida de confier ce rôle à madame Piano, pensant que les mâles devaient céder la place à un sexe plus inventif, et moins encombré par les vieilles habitudes…
Dès le lendemain, prenant de court les institutions lourdes de rites et de pondérations, madame Piano ordonna des lois qui permettaient aux gens fortunés d’investir sans complications dans les entreprises et aux moins riches de bénéficier sans démarches complexes de redistributions équitables : très curieusement personne n’y avait vraiment songé, et surtout personne n’avait imaginé concrétiser aussi facilement un tel équilibre.
Si bien que, dès le surlendemain, le chômage diminua, les carnets de commandes grossissaient, des bénéfices s’engrangeaient et les plus pauvres trouvaient dans leur boîte aux lettres des chèques d’aide et de progrès… A tel point qu’une opposition se manifesta aussitôt dans les Assemblées, qui hurla et aboya contre ce populisme, cette démagogie, ce souci malsain d’établir trop vite l’équité, au mépris d’une Histoire qui s’était depuis toujours bâtie sur l’inégalité. Et tous les économistes furent d’accord pour condamner une telle réforme, agitant de leurs griffes des chiffres et des statistiques sur lesquels aucune et aucun n’était d’accord.
Pour éviter des grèves et des haut-parleurs qui exigeraient l’émergence de nouveaux sujets de révoltes et de discordes afin que l’on puisse continuer à lutter, madame Piano eut dès les premiers moments le génie de se mettre en scène elle-même, en racontant l’histoire de son pays du point de vue des dames. Et, l’on vit, par exemple, sur les téléviseurs et les réseaux sociaux, la Piano harcelée aux bains de mer par des mecs huilés, la Piano faisant la cuisine devant un mari qui demandait où se trouvaient les assiettes, la Piano portant des sacs gonflés de lessive avant de ne point parvenir à prendre la parole en un conseil d’administration cravaté… Si bien que plus personne n’osa parler ouvertement de démagogie, un respect et une honte fermaient les bouches, et monsieur Piano se réveilla.
« Bon. J’y vais ! Tu penses aux courses pour ce soir », disait-elle, déjà habillée, déjà partie en courant.
Monsieur Piano se précipita à la fenêtre : dans la rue étroite, au milieu de voitures et de motos de police, attendait l’automobile présidentielle, drapeau au vent, où madame Piano montait…

Ajouter votre commentaire

blog de François Coupry

Archives

Articles récents

Commentaires récents

Catégories