blog de François Coupry

Vilaines Pensées 159 :
Un héros de la chance

V

Il se peut que je sois l’homme le plus chanceux du monde, moi Don Carlos de Palloma : j’ai toujours une pelle à portée de main, et dès que me prend l’envie de creuser la terre je découvre un trésor, des pierres précieuses, des gros lots de monnaies, des coffres pleins de documents qui attestent l’emplacement de mines d’or.
Aussitôt les hommes d’affaires, osseux, aux longs ongles et qui me suivent, vendent, exploitent, m’achètent des châteaux et des choses.
Si bien que, sur les terres de la Manche que je parcours avec mes dizaines de carrioles, je passe de châteaux en châteaux. Mais je ne peux m’attarder sur mes propriétés car bientôt d’autres trésors m’offrent d’autres châteaux. Que je meuble avec les choses également achetées par mes hommes d’affaires, et que je trimbale dans mes carrioles, des armoires, des lits, des chaises ou de vastes fauteuils. Je dois vite les entreposer, m’en débarrasser en ces nouvelles demeures, finalement acquises uniquement pour vider ces charrettes dont les chargements se renouvellent sans cesse.
Imaginons mon convoi sur les routes poudreuses, ces carrioles et cette traîne d’hommes d’affaires qui me suivent à pied. Dans les charrettes il y a aussi des objets personnels dont je ne peux me débarrasser, les cercueils de mes ancêtres, la famille Palloma y Bianco, les milliers de livres de poésie de la bibliothèque de l’oncle Ortega, ainsi que les malles contenant les portraits peints, les images, les photographies des aïeux, leurs lettres que je n’ai jamais ouvertes, ne sachant pas lire, trop occupé à parcourir la Manche et à meubler mes châteaux dont le nombre grossit sans cesse.
Je suis donc heureux, riche, mais terriblement encombré. Et je n’arrête pas d’user de ma personne. Car je dois aider souvent les chevaux à tirer les centaines de carrioles et de charrettes sur les collines de poussière, mes hommes d’affaires étant trop fiers pour se salir.
Si bien que je cherche des gens pour me soulager, des pauvres à qui je ferai la charité d’emplois magnifiquement rétribués. Mais on ne trouve plus de pauvres en ce monde, ils se cachent par haine, par amertume, par regret. Haine des riches. Amertume d’être nés de parents qui n’achètent point de château et ne transportent aucune malle. Regret d’avoir raté un moment historique où ils pouvaient prendre le pouvoir, imposer leur point de vue.
Alors, je reste seul avec mes malles, mes richesses, mes charrettes, de châteaux en châteaux. Oui, heureux, et ne me plaignant pas trop.

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