Il était une fois, au fin fond des Carpathes, un royaume que traversa Candide, et là un roi un peu gâteux voulut remarier pour la énième fois sa fille, au cœur de roches pointues où s’érigeaient de hauts châteaux gris.
Les prétendants issus des grandes familles, qui à tour de rôle épousaient la princesse, hélas, dès le début des opérations de séduction connurent des déboires, soupçons de sénilité, de recels de trésor, et autres croche-pieds. Si bien que maintenant chacun se déplaçait accompagné de médecins, d’avocats, sans compter les juges qui trottaient en agitant des papiers.
Cette situation délétère s’aggrava du fait que, sous les incessantes pluies, les familles des prétendants étaient elles-mêmes divisées. Les cousins du comte de Works s’acharnaient à sa perte sous prétexte que ses plans de rénovation étaient irréalisables et qu’il s’acoquinait avec un parent éloigné, amateur de verdure. Quant au duc de Bjordy, poursuivi par les juges pour avoir autrefois payé sa femme tel un vulgaire hobereau et que l’on trouvait trop triste, ses oncles le poussaient sans cesse dans des ravins, d’où il ne réchappait que par obstination. La famille du prince héréditaire Ramvesk semblait plus unie, mais ses liaisons avec les tyrans des empires limitrophes angoissaient les âmes et son père menaçait de l’étrangler. Seul le seigneur de Sporthz n’avait pas de famille et caracolait en promettant des merveilles : toute la cour lui tirait dessus, avec des arcs et des canons.
Cette situation putride s’aggrava encore du fait des rumeurs colportées. Ces rumeurs étaient censées provenir des villages et donnaient chaque jour la cote d’amour des prétendants. Tantôt cette cote montait et les concurrents trouvaient des apothicaires pour accabler de maux le gagnant, tantôt elle descendait et aussitôt les courtisans changeaient de camp. On soupçonna ces rumeurs d’être inventées par ces familles rivales : un intrépide reporter alla s’informer directement à la source, chez les habitants des villages.
Sous les pluies, il traversa les cols et les ravins, mais ne découvrit que des villages vides, abandonnés, en ruine. Les agriculteurs et les commerçants étaient partis à l’étranger, loin, en Suède, en Angleterre, sous le ciel bleu de Rome et même jusqu’en Chine ! Ce royaume n’avait plus de peuple, rien que des comtes, des ducs, des princes et des seigneurs. Qui moururent de ne point être aimés, avant d’avoir eu le temps d’ouvrir les portes de ce royaume à d’autres peuples qui pourraient les applaudir.
— C’est le désir d’être aimé qui agite les humains, pensait une mésange : il leur faut toujours chercher des gens qui les vénèrent, les pauvres !
Vilaines Pensées 124 :
A-t-on vraiment besoin du peuple ?
V