Il était une fois un royaume moderne et fort progressiste. Où l’on partageait gentiment les revenus des richesses, où l’on mangeait des légumes frais et où l’on pratiquait le mariage pour tous.
Le roi voulait marier son fils. Des prétendants mâles se présentèrent. Et aussi une prétendante, pourquoi pas ? Ils et elle arrivèrent à la cour, la visitèrent, puis chacun chanta ses projets sous les palmiers.
Hélas leurs paroles agréablement soulignées de sons de luth semblèrent banales, académiques, ressassées, sans imagination. L’un exigeait que l’on serre les bourses pour redresser l’équilibre comptable, l’autre souhaitait supprimer les banques et les bénéfices, l’autre donnait toute liberté aux entreprises et aux commerçants, l’autre envisageait d’offrir à chaque sujet tout l’argent de l’Etat, les uns et les autres s’accusant mutuellement d’appauvrir les pauvres et d’enrichir les riches. Quant à la prétendante, elle construirait un mur autour du royaume afin de marchander tranquillement entre-soi et d’éviter les allées et venues des étrangers. Bref, rien de bien nouveau sous le soleil : le roi et ses conseillers étaient très déçus.
Il vint à l’esprit des observateurs que ces concurrents, quelque fut leur sexe, faisaient tout pour ne point devenir un heureux élu ou une heureuse élue. On engagea un enquêteur objectif, le détective le plus subtil de ce siècle, notre vieil ami Piano. Qui bientôt rendit ses conclusions :
« Oui, pourquoi ces imbéciles veulent-ils perdre, quand la place paraît alléchante et quand le royaume se définit lui-même comme un paradis d’harmonie ? Serait-ce parce que l’apparence est trompeuse et que la tâche est trop ardue ? Alors, pourquoi ne le disent-ils pas et se présentent-ils à ces noces avec le pouvoir ? J’ai parcouru les couloirs du palais, j’ai écouté aux portes du fils du roi : ce jeune homme passe ses journées à râler, à geindre, à casser avec colère des vases, à hurler des ordres incohérents, à battre ses derniers serviteurs. Mais aucun des prétendants n’osera avouer ne pas désirer épouser ce mâle, de peur de paraitre intolérant et encombré de préjugés sexistes. Et la prétendante, elle non plus, n’osera jamais refuser ouvertement de se marier avec ce fils horripilant, de crainte de passer, au contraire, pour trop libérée et féministe. Ainsi disent-ils n’importe quoi, prônent-ils des projets rigides et sinistres, et même assez éculés, dans l’espoir d’être recalés par l’opinion publique et d’avoir enfin la paix. »
— Les humains, soupirait une oie, ne donnent jamais les vraies raisons et se masquent derrière des théories pour cacher leurs pensées, les pauvres !
Vilaines Pensées 125 : Et revoilà Piano, qui détricote les sexes !
V