blog de François Coupry

Vilaines Pensées 128 :
La princesse et moi

V

Il était une fois, au cœur de l’Europe, un roi qui se sentait décliner et qui voulut trouver, au moyen d’un vote de tous les citoyens, un bon précepteur instruit pour gouverner les douleurs de sa fille, encore adolescente et qui souffrait d’une grave maladie. Chaque grande famille proposa un candidat, je fus choisi par la mienne et mes ennuis commencèrent.
Sans doute étais-je celui qui parlait le mieux, mais ce n’est pas moi qui concocta le programme de guérison : un groupe de médecins peaufina une série de remèdes, et devant les futurs électeurs, de réunion en réunion, je répétais une suite de formules afin d’être admiré. Puisqu’il était évident que la majorité des votants n’y connaissait rien en médecine ou en économie pharmaceutique, seul comptaient le ton et l’élan du discours.
Souvent, nous nous réunissions en cachette, les autres prétendants et moi, pour analyser entre nous la situation : la jalousie excitait nos familles, qui voulaient s’introduire à la cour, avoir les honneurs, éliminer les rivaux. Certains d’entre nous, se sentant moins phraseurs que moi, envisagèrent de renoncer en ma faveur. Je refusai, car l’émiettement des voix des électeurs me permettrait peut-être de ne point être élu, ce qu’en vérité je souhaitai pour le moment, redoutant ce pouvoir que je ne saurais assumer.
Mais cette campagne électorale devenait catastrophique. La jalousie entre les familles monta chaque jour : comme les autres candidats, on m’accusa de divers méfaits. Je dus me défendre devant la justice, des toges d’avocats se joignirent aux barbes des docteurs et des savants qui me manipulaient, les colporteurs de nouvelles agitèrent leurs plumes et leurs micros. Bientôt des tueurs à gage se mêlèrent aux toges des procureurs, en notre société de Droit : il m’arriva de me baisser vite pour éviter des tirs de fusils.
Ces horreurs me forcèrent à ne pas céder, à continuer, en cette société de Devoirs, sublimant mon talent d’acteur, me persuadant soudain de mon utilité : la princesse était malade, il fallait coûte que coûte lui tenir la main, oui, même au prix du pouvoir. Je tins alors des discours enflammés, ayant même l’air de comprendre les termes médicaux devant un public ébahi.
Je fus élu à une large majorité des voix, je soignai la princesse avec les potions prescrites par ces savants qui ne l’avaient jamais auscultée : elle mourut. Je criai mon malheur, je l’aimais.
— Menteur, s’énerva un pivert : les médecins ne l’ont pas tuée, c’est toi qui l’a assommée en ne sachant lui dire que des noms de maladies !

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