blog de François Coupry

Vilaines Pensées 133 :
Lettres persanes, V

V

Lettre d’Usbek. En France, sous la lune d’avril.
Ce soir, je songe que les Français peut-être me voient avec un turban rouge, des moustaches tombantes, des culottes bouffantes et un sabre à ceinture. Je n’ai point de sabre, mais ces images, comme celles d’Épinal en ce pays, s’accolent à la réalité, et la dominent.
Sans doute mon regard sur les usages d’ici est-il autant faussé de lieux communs : les pensées de ce peuple bavard me paraissent souvent trop carrées, souscrivant sans cesse à une rigueur méthodique. Et rien ne lui manque plus que le plaisir de se contredire ou l’exercice de la fantaisie.
Ainsi, l’autre jour, les prétendants au trône — pardon, ô Roxane restée en Iran : les candidats républicains — furent-ils alignés en un débat, sur les postes de communication. Je pus admirer en rang d’oignon le Triste Sourcilleux, le Prince Charmant, la Blonde Non-Voilée, la Grosse Voix Romantique, le Pauvre Petit Canard, ainsi que six autres dont je n’ai pas saisi l’utilité, sinon celle de la démonstration de l’équité démocratique et de la rancœur due à l’inégalité. Il n’y eut ni fraternité, ni liberté, sur ces écrans, ni même communication. Chacun, ne disposant que de quelques minutes, récita son bréviaire à tout de rôle, n’échappant au rituel que pour lancer quelques piques, attendues avec envie par les commentateurs, qui y virent le sel nécessaire aux propos les plus catégoriques.
Nous fûmes dans la caricature de l’esprit français, lui-même déjà caricatural : une succession d’idées parfaites, qui s’écrouleraient au premier orage de la réalité financière ou des chaînes mondiales de la politique.
Seul le Prince Charmant, si semblable à ce petit prince dessiné par un aviateur, osa désobéir à la règle de suivre coûte que coûte sa propre cohérence, nous montrant la jouissance de la nuance, du doute, de l’épaisseur, allant même jusqu’à prendre pour lui des thèses dont ses concurrents se prétendaient propriétaires. Ce talent de ne point être sourd aux arguments des autres choqua, quand on put louer sa nouveauté en ce pays. On le jugea néanmoins flou, au point que, quelques jours plus tard, ayant davantage de temps sur ces mêmes écrans, il dut devant ses interrogateurs répéter mille fois : « Je vais être clair ! »
La clarté est une maladie qui fige cette nation dont je continuerai — ô Téhéran — à te raconter le fin fond des illusions. (À suivre.)

Ajouter votre commentaire

blog de François Coupry

Archives

Articles récents

Commentaires récents

Catégories