blog de François Coupry

Vilaines Pensées 138 :
L’oie aux œufs d’or

V

Il était une fois un royaume bizarre : tout petit, une colline, une vallée, entre des montagnes hautes et abruptes.
On y vivait surtout de l’argent dépensé par les nombreux touristes qui venaient, grâce à un téléphérique, admirer sur la colline le château vert où résidait la curiosité nationale, célèbre dans le monde, une oie.
Une oie mécanique, et réglée par une horloge hasardeuse, qui parfois, pas souvent, même très rarement, délivrait soudain un œuf d’or : chaque touriste étranger rêvait d’être présent le jour béni pour jouir de ce miracle aléatoire et se mirer dans l’œuf pondu, la plupart du temps on repartait déçu, mais l’on revenait vite, plein de cet espoir qui ferait vivre.
Les commerces des habitants de la colline étaient florissants, mais nul touriste ne se rendait dans la vallée où les villageois dépérissaient, envieux du prestige et des finances de ceux qui logeaient près du château vert.
Une Loi prévoyait d’élire tous les cinq ans un maître de l’oie, qui seul pouvait la toucher, éventuellement la déplacer : des combats à coups de bâton éliminaient les prétendants, pour n’en garder que deux, puis le peuple jetait dans des urnes une pièce de monnaie à l’effigie de l’un des finalistes.
Cette année-là les combats furent si violents que les chevaliers habituels et chenus se cabossèrent tous le visage, renoncèrent et allèrent soigner leur nez et leurs dents cassés. Demeurèrent deux jeunes candidats, nouveaux, la sorcière de l’Est et le sourcier de l’Ouest.
La sorcière de l’Est voulait supprimer le téléphérique et donc le tourisme, afin de vivre en autarcie et d’aplanir les différences entre ceux de la colline et ceux de la vallée, tandis que le sourcier de l’Ouest voulait faire voyager l’oie sur l’ensemble du territoire, afin d’attirer partout les touristes, équilibrer les chances et mieux répartir le commerce.
Mais, un jour avant le vote, le bruit courut que rien dans cette fameuse Loi électorale ne permettait de savoir avec précision si l’effigie gravée sur la monnaie jetée dans les urnes devait désigner le gagnant ou bien le perdant, la tête que l’on souhaitait élire ou celle que l’on désirait éliminer !
Chaque camp accusa l’autre d’avoir insufflé le doute, mais, après une participation massive, lorsque l’on connut le résultat incontestable, personne ne fut sûr que le nom du vainqueur n’était point celui du perdant, si bien que ceux de la vallée continuèrent de haïr ceux de la colline, les coups de bâton recommencèrent : on n’en finira jamais avec ces élections !
Cette année-là, l’horloge hasardeuse de l’oie mécanique lui fit pondre un œuf d’or, dans l’indifférence — Pauvres humains, gémit une vraie oie.

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