blog de François Coupry

Vilaines Pensées 141 :
Y a-t-il une vérité après la vérité ?

V

Il y a quelques jours, à Taormina, entre deux palmiers M. Piano me prit le bras : Je vais être ministre de droite dans un gouvernement de gauche, mais motus ! me confia-t-il. C’est vrai ? lui demandai-je stupidement. Son chat réagit le premier (depuis des mois, Piano portait un chat noir sur l’épaule) en miaulant de travers, soulignant les propos outrés de mon ami :
« Quoi ? C’est vous qui me posez cette question ? Quand vous passez vos journées à louer le faux, à proclamer que la vérité n’existe pas et que seule l’illusion organisée d’un récit bâtit le réel ! » Avant que j’arrive à trouver le souffle pour répondre, Piano (son chat sortait ses griffes) enchaîna :
« Depuis des siècles, la pensée humaine occupe ses heures à démonter les vérités qu’elle croyait solides et immuables : la terre n’est plus le centre de l’univers, Néron n’a jamais fait de mal à une mouche, les Évangiles n’ont pas été écrits par les évangélistes, il n’y a pas qu’une seule Grande Muraille de Chine mais au moins dix, ni Shakespeare ni Molière n’ont existé, Napoléon n’a jamais gagné une seule bataille, Kennedy n’est pas mort à Dallas, etc. À tel point que l’on a dû promulguer des lois pour interdire de réviser certains points de l’Histoire dont la négation entraînerait trop de bouleversements affligeants. Mais c’est toujours au nom d’une Vérité sanctifiée et scientifique que des vérités officielles ont pu être reformulées, ouvrant le gouffre du doute généralisé qui freine tout esprit de conquête.
« Si bien, continua M. Piano, que seuls quelques journalistes âgés, grognons et têtus, s’excitent encore à chercher religieusement la réalité vraie avec une chandelle au fond de leur tonneau. Et si bien que, en contrepartie, vient de s’élaborer un nouveau concept charmant dans les milieux de la politique et des affaires (dont les représentants sont réunis près d’ici, au G7, ajouta le chat) : la pratique de la post-vérité, ou de l’au-delà de la vérité. Qui consiste à affirmer tantôt une réalité, tantôt une autre, à diffuser n’importe quelle fausse information, sans soucis de contradiction, flottant au vent des déterminations mondiales, avec pragmatisme, cynisme et optimisme, les trois dernières vertus qui nous restent.
« Voilà, conclut Piano, où nous mène votre théorie de la fausseté a priori de tout discours, ce à quoi je souscris des deux pieds. Et je confirme : je vais être ministre de gauche dans un gouvernement de droite. »
Je ne relevai point ce nouveau renversement dans les renversements, je m’enfuis, d’autant plus que le chat noir bondit sur moi, me poursuivit en me mordant les fesses, sous les palmiers en ce printemps.

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