blog de François Coupry

Vilaines Pensées 142 :
De la démocratie au Xélin

V

Alberto Sodernicht, dans son célèbre ouvrage «Les Monstres électoraux», nous parle du cas minuscule, mais grandement exemplaire, du tout petit royaume de Xélin, un trou perdu entre des montagnes, coincé entre la Suisse et l’Italie. Ils avaient décidé d’être à la mode et d’enfin élire un Parlement. Qu’ils soient bénis.
Mais on ne peut que blâmer (ou en définitive louer ?) leur amateurisme. Comme ils pensaient qu’il n’y aurait que peu de candidats, les promoteurs de cette généreuse initiative omirent de prévoir un nombre de sièges défini, en attendant une constitution mieux élaborée.
Il y avait 8 292 habitants adultes dans les trois villages, cultivateurs de choux, d’artichauts, ou artisans dans une dizaine de tanneries, assurant à eux tous de bons commerces et des rendements acceptables. Il y eut 8 293 candidats à ces législatives, la vieille Elisa Mercanti ayant inscrit aussi son chien, nulle clause ne l’interdisant. Comme il était compliqué, mathématiquement, financièrement et pratiquement, d’imprimer 8 293 fois 8 293 bulletins de vote, on décida que chaque électeur écrirait lui-même à la main son choix sur une feuille de papier.
Des centaines de journalistes du monde entier vinrent assister à une campagne électorale inédite, au cours de laquelle, très longuement, chaque xélinois exposa son point de vue, ses perspectives, son programme, et l’on se rendit compte que même à l’intérieur d’une famille les intérêts divergeaient selon l’âge, le sexe, les conflits classiques entre parents.
Le jour des résultats, les 8 293 candidats furent élus, chacun ayant voté pour soi, et le futé labrador Tancrède ayant réussi à griffonner son propre bulletin. De judicieuses tentatives, pour composer des alliances politiques et diminuer ainsi le nombre des représentants, échouèrent : on bâtit un immense hangar pour abriter ce Parlement.
Et ce fut le plus merveilleux exemple de démocratie directe, où chacun s’exprima pour voter chaque mois 8 293 lois innovantes et différentes, y compris donc celles de Tancrède, qui n’étaient point les plus bêtes.
Selon Alberto Sodernicht, cet État fonctionna néanmoins, et l’on continua aussi bien qu’auparavant à cultiver, tanner et vendre. Ce qui fit dire aux adversaires de la démocratie que ces Assemblées bavardes ne servaient à rien. Mais de mauvais esprits subodorèrent que le roi (conseillé par le chien-député ?) promulguait en catimini des édits, des oukases, sinon des ordonnances, pour le bien-être et la liberté des citoyens.

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