blog de François Coupry

Vilaines Pensées 143 :
Le Grand Accusateur

V

Inutile de me parler des lois. Ce ne sont que conventions vulgaires, écrites par des incultes qui ne songent qu’à faire plaisir, soit au pouvoir établi, soit aux peuples qui se croient souverains.
Moi, je représente la morale. Mais, inutile, encore, de m’imaginer vêtu en prêtre, en inquisiteur, avec une longue robe noire, et maigre. Non, je suis plutôt rond, j’ai la mise et la mine les plus ordinaires, je passe inaperçu lorsque j’enquête. Et j’ai enquêté sur les membres du Parlement de mon pays, qui tous respectent les lois qu’ils promulguent, quand si peu parmi eux réfléchissent à la Morale, comme s’ils ignoraient qu’Elle est bien plus terrible que les lois, qu’Elle nécessite davantage de jugement.
Et aujourd’hui j’accuse.
J’accuse Leonora Grandy d’avoir, en son enfance, dit la vérité à ses parents, dévoilant les avoir surpris avec leur amant ou leur maîtresse, ce qui les poussa au suicide : elle aurait mieux agi en mentant, se taisant.
J’accuse Benedict Graäl de ne pas avoir favorisé sa famille lors d’un appel d’offre, quand elle présentait les meilleures garanties, au nom d’une perverse vertu qui envenima les tensions et les haines entre cousins.
Mais ne croyez pas que je privilégie les familles, leurs secrets ou leur enrichissement, car justement j’accuse Carmina Ossy d’avoir eu un enfant avec son mari, sans tenir compte des angoisses que vivent les jeunes dans un monde qui se détruit chaque jour, où il faut tuer l’autre pour travailler et gagner de l’argent, où les inégalités sauvages sont irréconciliables.
Et j’accuse John Das Pintos d’être poli, courtois, aimable avec les femmes, preuve de son mépris machiste. Et j’accuse Carmon Beney de ne parler qu’une seule langue, sourd ainsi aux pensées diverses de l’univers.
Ces fautes morales, la vérité, la vertu, la procréation, la courtoisie ou la surdité, je les ai désignées d’un doigt accusateur devant le Parlement, et si chaque coupable se réfugia derrière des lois qui n’interdisaient nullement ces exactions, je sentis que mon index pointé vers ces individus bousculait leur tranquillité : rien de ce que réalise l’humain n’échappe à la vilénie.
Heureusement que j’ai l’air ordinaire et passe-partout, sinon j’aurais déjà été assassiné afin de prouver l’innocence présumée des bien-pensants.

Ajouter votre commentaire

blog de François Coupry

Archives

Articles récents

Commentaires récents

Catégories