Monsieur Piano avait-il besoin d’argent ? Il accepta une enquête d’un genre statistique qu’il réprouvait : trouver non point un individu, mais, en un pays d’Europe dont je tairai le nom, un ensemble d’individus qui se diraient « de gauche », auraient souci d’égalité et de répartition équitable, dans la perspective d’un monde qui ne serait pas dirigé par la finance.
Peu convaincu par ces critères trop brefs et simplistes, notre Piano se mit néanmoins en quête, tel Candide, traînant les pieds sous la pluie, traversant les orages, les vents, au milieu des attentats terroristes et des sirènes des voitures de police, en ce début du vingt-et-unième siècle.
Selon lui, ces valeurs de progrès, auxquelles il avait adhéré durant sa jeunesse enflammée un siècle auparavant, devaient se retrouver justement dans la jeunesse actuelle, soi-disant éternellement ouverte aux autres. Hélas, interrogeant en de multiples bars illuminés d’arc-en-ciel et de batteries les petits-fils et petites-filles d’amis, il s’aperçut que la plupart n’avaient nul souci d’égalité, souhaitaient la liberté de se débrouiller seuls en petits boulots géniaux, se reposaient et dépensaient dès qu’on avait gagné dix sous, insouciant d’un avenir. Monsieur Piano ne fut pas content.
Toujours sous le pluie, il se promena chez les pauvres, déjà divorcés, au chômage, avec des enfants qui traînaient : là, on n’espérait que les aides d’un Etat lui-même endetté, et n’ayant plus le courage d’avoir l’idée d’un progrès on s’apprêtait à manifester contre on ne savait quoi, afin d’occuper les journées. Et monsieur Piano était de moins en moins content.
Exaspéré par tant de caricatures, trempé, ne pouvant retenir les baleines soulevées de son parapluie, il interrogea les cadres moyennement bourgeois d’entreprises florissantes : là, on n’avait qu’une idée d’avenir, devenir patron à la place des patrons, acheter une villa à Saint-Barthélémy, même dans l’oeil d’un cyclone. Le mécontentement de monsieur Piano atteignit le niveau 5 au milieu des sirènes bleues des voitures de pompier.
Ce ne fut que dans des maisons de retraite, auprès de vieilles dames devant des tasses de chocolat et de vieux de son âge s’essoufflant aux tennis, qu’il découvrit enfin des humains qui se disaient « de gauche », prônant les acquis des droits sociaux, haïssant la dictature de la compétition, maudissant les impératifs de la finance, du commerce.
Monsieur Piano fut content. D’autant plus qu’il s’aperçut que ces vieillards lui avaient volé son portefeuille, avec l’argent d’une enquête dont il était mécontent. Et dont il ne dévoila jamais la conclusion.
Vilaines Pensées 151 :
Piano pas content
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