J’ai fait un rêve : nous serions, nous les singes pensants, des réactionnaires uniquement soucieux de conserver le monde tel qu’il est, même fou, tel qu’il fut, peut-être meilleur — et vivant dans la nostalgie.
J’ai rêvé qu’en vérité nos revendications, nos ardentes manifestations, ne consisteraient qu’à protester contre les nouveautés, afin de garder nos droits, préserver nos acquis, maintenir l’équilibre écologique et naturel, nos propriétés morales venues de nos enfances, de nos ancêtres proches ou lointains, par peur d’un avenir différent — et pour se rassurer.
J’ai rêvé que nos réformes, nos progrès, nos révolutions, nos républiques et nos obstinés refus des féodalités ne seraient en vérité que des désirs de retrouver enfin un âge mythique et d’or, un magique et enfantin paradis perdu d’égalité et d’amour — et toujours se rassurer, en d’éternels retours.
J’ai rêvé que nos bouleversements et nos renversements d’idées, de Galilée au Big Bang, ne seraient en vérité que d’originales tentatives d’analyser et de pérenniser une cohérence originelle, l’enfance solide du monde — et se rassurer sur l’architecture préméditée de notre futur.
J’ai rêvé qu’en vérité le seul moment de notre vie où nous ne serions pas encore rétrogrades et conservateurs, serait lors de notre état de bébé, quand nous découvrons un monde génial et incompréhensible — et vite muselés par la tendresse et la mainmise de parents et de professeurs forcément réactionnaires qui doivent nous rassurer sur ce qui est, fut, sera.
J’ai rêvé que nos grands et inconnus mathématiciens et poètes ne seraient que des bébés qui heureusement n’auraient point grandi. Et j’ai rêvé que certains visionnaires politiques parfois le seraient éventuellement aussi — mais, sans citer de noms, ces bébés élus sont en vérité vite rattrapés par la rassurante douceur pragmatique d’un monde bien installé dans ses règles et ses lois, autant régulières que les voyages des étoiles.
Et, après avoir imaginé la manifestation des Intelligences Artificielles, je rêvai à celle des bébés, ce long cortège de poupons langés, se dandinant en bavant, levant leurs petites mains pour inventer un autre monde que le leur — mais sans savoir que, plus tard, ils ne rechercheront que les privilèges rassurants de l’univers de leur enfance, surtout s’ils croient la rejeter.
J’ai rêvé, je me suis réveillé. Sur mon lit, devant moi, se tenait un grand singe velu. Ce cousin me dit : Tu as rêvé la réalité la plus vraie, mais ne le répète à personne, l’humanité doit conserver ses illusions créatrices.
Vilaines Pensées 153 :
Tous réacs !
V