Ils occupent nos terres. Ce n’est pas qu’elles nous appartenaient vraiment, mais nous y étions. Ils disent qu’elles sont à eux, maintenant, et ils y construisent des maisons, des maisons qui s’étendent vers la mer ou vers la forêt, des maisons à n’en plus finir.
Et nous ne savons pas comment ils font pour reconnaître leur maison, qui toutes sont semblables.
Ils veulent vaincre la forêt, les arbres, ils les déracinent, les scient, les abattent en fracas. Ils ont gagné, ce sont les plus forts, ne restent sur les collines, les montagnes, que quelques îlots de verdure qu’ils colonisent en y plantant des fleurs, en aménageant des jardins agréables pour eux, où leurs enfants se promènent en admirant ce qu’ils ont l’outrecuidance de baptiser : parcs naturels.
Et nous ne savons pas comment ils font pour reconnaître leur enfant, qui ont tous la même tête.
Ils ont aussi colonisé la mer, qui n’est plus pour eux qu’un magasin de poissons qu’ils mangent, en remerciant chaque matin leur Dieu de leur offrir de la nourriture, comme si c’était la destination des eaux d’être cette réserve qu’ils ont l’outrecuidance de qualifier de : naturelle.
Ils occupent nos pensées par les moyens les plus sauvages, les plus cruels, par des panneaux, des affiches, et depuis quelques années par des écrans animés et portables, où ils exposent leurs mots, leurs images, leurs lois. Ce sont des dessins rudimentaires, des informations naïves, des préceptes idiots, mais ils ont l’outrecuidance de croire que nous ne comprendrons jamais ces langages puérils qui nous encombrent, nous étouffent, et qu’ils baptisent du nom prétentieux de : culture.
Beaucoup d’entre nous, des pans entiers de nos espèces, ont été éliminés, mais depuis quelques temps ils ont la nouvelle outrecuidance de nous plaindre, de pleurer sur nous, de se repentir en public, de s’accuser de génocide, de battre leur coulpe.
Car le pire, pour nous, est à venir. Bientôt, ils vont se mettre à nous aimer de plus en plus, à embrasser les arbres, les mouches, les herbes, les veaux, multipliant les gestes tendres. Alors, devant eux, nous serons démobilisés, nous rendrons nos dernières armes, nos griffes, nos épines. Et nous nous mettrons à collaborer avec nos envahisseurs, à nous-mêmes les aimer.
Ils vont nous civiliser pour mieux nous exterminer : grâce à l’amour.
Vilaines Pensées 175 : Bilan d’une civilisation
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