N’importe quel crétin peut devenir président – d’un club de pêche d’un village perdu en montagne, par exemple ; ou d’un État, pourquoi pas ? Aussitôt, ce n’est pas l’aura du pouvoir, comme on le croit, qui l’assaille et le grandit, non. Soudain, il connait des mystères que les humbles membres de sa société ignorent : des tractations ancestrales et occultes, des cadavres dans les placards, des non-dits impensables, des accords et des codes souterrains. S’il n’y avait pas ces secrets, quel intérêt d’être chef ?
C’est le même processus, ce passage de l’ignorance à la connaissance, qui règlent les sacres héréditaires ou les élections plus ou moins démocratiques : l’élu ou l’élue, il n’y a plus de sexe à ce niveau-là, rencontre brusquement un monde parallèle, et s’initie à cette galaxie ; un univers d’experts, de financiers, de devins, de magiciens, d’illusionnistes, de prêtresses, de mathématiciens, de tueuses à gage, d’hommes invisibles et surtout d’espions au courant de toutes les histoires et de l’Histoire.
Ne commettons pas l’erreur populaire de rêver d’un complot contre les non-initiés – me répétait souvent M. Piano, depuis qu’il avait occupé un poste important dans le renseignement mondial : ces agitations de l’ombre n’ont aucune incidence sur les activités ordinaires des membres du club de pêche ou des citoyens d’un État ; cette ombre vit à côté, presque dans un autre temps, avec sa propre logique, ses propres lois, et nulle ficelle n’est tirée, il s’agit seulement de savoir ce que les autres ne savent pas.
Et aucun média, aucun journaliste d’information, et surtout aucun réseau social, ne peut se targuer de pénétrer les murs de ces cercles obscurs.
Un cafouillage récent put dévoiler la faille de ces secrets : un agent de sécurité de la Présidence d’un pays d’Europe outrepassa ses fonctions – si bêtement que l’affaire fut colportée par ceux qui ne devaient point la découvrir ! et que l’on soupçonna des raisons indicibles ! À tel point que des membres de ce gouvernement, trop naïfs pour se moquer de la transparence ou de la vérité, et trop inexpérimentés pour savoir taire des secrets qu’ils ignoraient, s’emberlificotèrent dans des réponses vaseuses : on crut, du coup, qu’ils révélaient ce qu’ils ne connaissaient pas.
Rien n’est plus terrible que de laisser imaginer que l’on sait. Heureusement, une canicule bien-venue liquéfia et occupa les gesticulations des esprits fouineurs – on évita de justesse la catastrophe d’un savoir partagé par tous… Ainsi la nature physique et le réchauffement climatique sauvèrent les mystères des comportements humains, le soleil brûlant sauvegarda la nécessité des ombres.
Vilaines Pensées 176 : Les mystères et la canicule
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