blog de François Coupry

Vilaines Pensées 178 : La tête dans le sac (1)

V

Neurologue mondialement connu, je me rendis à Rome où la Présidente du Conseil italien, une adorable dame calme et rondelette, Démocrate-Chrétienne, aimée du peuple, venait de mourir subitement – pourquoi une morte, même aimée, aurait-elle besoin d’un neurologue ?
Allant au palais des Présidents du Conseil, je vis que, sous un ciel bleu, on empêchait une foule considérable d’entrer pour s’incliner devant la dépouille de la chrétienne démocrate. Moi, on me permit de pénétrer, vite on me remit des analyses et le résultat d’un encéphalogramme qui prouvaient le décès. Mais sur son lit, entouré d’autres docteurs affolés, le cadavre charmant s’agitait – les corps s’énervent après la mort, pensai-je.
Bouleversant les draps, son bras gauche se dressait, le poing fermé. Et, horrifiant les intimes acceptés à son chevet mortuaire, la douce dame se mettait à chanter l’Internationale – les morts changent de camp, pensa-je.
On la tassa dans un cercueil hermétique pour étouffer et cacher ces inconvenances. On décida de n’organiser qu’une cérémonie religieuse privée, qui serait néanmoins diffusée à la télévision. Mais des bruits sourds provenaient du cercueil, ainsi que des injures difficiles à écrire, on décida de couper le son. Puis d’arrêter la retransmission visuelle. Heureusement, car le cercueil bientôt vola en éclats, morceaux de bois qui chassèrent les prêtres – les morts ont la vie dure, pensai-je.
La suite fut confuse, le cadavre si correct et bien coiffé de son vivant s’échappa en furie échevelée, après quelques hésitations l’armée, appelée à la rescousse, se permit de tirer : le corps se disloqua, on eut du mal à retrouver les bouts, en réalité ces fragments éparpillés fuyaient dès qu’on les repérait, si bien que, lors des nuits suivantes, des romains furent dérangés par les apparitions, saugrenues mais bien tangibles, des jambes, des seins, des mains, des pieds de la Présidente décédée – les morts ont tendance à vivre plusieurs vies parallèles, pensai-je.
Je ne dirai point où je trouvai la tête. Elle me dit : « Maintenant je gouverne vraiment et communique avec les affaires mondiales ». Moi, je l’enfermai dans un sac, cette tête. Le lendemain, dans mon hôtel, je vis qu’elle ressemblait à celle de Donald Trump – bien sûr, pensai-je, les morts n’ont plus le même visage que du temps de leur existence légale.
Je partis de Rome avec le sac, et vous raconterai dans les prochains jours la suite de mes aventures avec cette tête coupée, trop réelle.

Ajouter votre commentaire

blog de François Coupry

Archives

Articles récents

Commentaires récents

Catégories