blog de François Coupry

Vilaines Pensées 179 : Comment croire au réel?

V

Oui, le problème avec la réalité, c’est qu’elle est invraisemblable. Une aventure récente avec mon bon M. Piano me le prouva. Je vais vous dévoiler le plus impensable, le moins admissible, m’annonça-t-il.
Il me conduisit dans une banlieue résidentielle, aux alentours de X (je tairai tous les noms, de peur des représailles). Des villas cossues y régnaient, ornées d’arbres agréables. Nous déjeunâmes chez Mme et M. X : un repas somptueux, avec du homard, j’aime le homard, et servi par un valet des plus soucieux des arts de la table. La conversation tourna autour de Kant et j’avoue que parfois, petit intellectuel, je ne me sentis point à la hauteur. Mais quand le maître de maison me raconta sa vie, je faillis tomber encore plus : notre hôte, aujourd’hui à la retraite, avait été ouvrier, travaillant à la chaîne durant toute son existence. Au sortir de ces agapes, Piano me montra d’autres riches maisons voisines, me précisant que des ouvriers également en étaient propriétaires.
Quand je lui demandais le but de cette visite, sans me répondre il me conduisit dans une banlieue populaire : immeubles en étages et délabrés, ambiance de trafiquants de drogue, arbustes chétifs et tristes, pauvreté visible et indécrottable, impression d’abandon. Piano me désigna les noms sur les boîtes aux lettres défraichies, avec stupeur je lisais ceux des dirigeants des plus grosses sociétés internationales, X, XX. Et je reconnus même un haut PDG multimilliardaire de XXX, qui, encapuchonné, raclant le sol avec ses bottes sales, l’air misérable et minable, sortait en sifflant d’un petit appartement loué, ou peut-être même squatté.
« Et vous voulez me démontrer quoi ? lui redemandais-je, agacé. — Rien, justement, me répondit mon ami Piano : je vous montre la réalité qui, malheureusement, ne signifie rien, ne veut rien dire, ni démontrer ».
Après un temps de silence, le philosophe ajouta : « Heureusement que l’on ne raconte que des fictions, pour rendre la réalité un peu plus vraisemblable, des récits venus de l’imaginaire collectif, les paroles et les images des journalistes, des auteurs de documentaires ou reportages soi-disant vrais et vécus, tout ce qui permet aux politiciens d’agir pour le Bien commun dans l’illusion d’un réel qu’ils ne doivent jamais découvrir, regarder en face, car il n’est pas moralement correct ».

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