blog de François Coupry

Vilaines Pensées 181 : Une mort inimaginable

V

J’apprends à l’instant que M. Piano vient de mourir.
Mon ami, mon miroir, mon plus cher camarade de ces Vilaines Pensées, voilà, c’est fini, il n’est plus là, j’ai un vertige de malheur.
Je relis ces lignes, et me demande comment j’ai eu le culot de tuer Piano ! Un auteur peut-il éliminer son personnage favori ? C’est absurde, malsain, abusif. On devrait mettre en prison les auteurs qui tuent leur héros : dois-je me rendre au commissariat, avouer mon crime ?
Mais non, bien sûr, allons, ce n’est pas vrai. Une phrase poussée à tout hasard ne peut être aussi meurtrière. Toutefois, j’ai un doute. Et vite, pour en avoir le cœur net, je me rends au domicile des Piano.
Hélas, c’était vrai. Une phrase tue aussi bien qu’un coup de couteau : chez les Piano, c’était la désolation, mon ami reposait là, dans un cercueil, immobile, sans vie. Autour, il y avait la famille, sa fille, son petit-fils, Clavecin, et Mme Piano s’avançait vers moi, avec des yeux de haine, des yeux qui criaient : Salaud, il ne vous avait fait aucun mal, au contraire il concrétisait vos idées idiotes, alors pourquoi, pourquoi ?
Il ne me restait qu’une solution, délaisser ma pauvre autorité d’auteur, je pris la main glacée de mon ami mort : Pardon, lui disais-je, une phrase de trop, je la rature, venez vous promener avec moi. Je l’entraînai hors de son cercueil, nous marchâmes dans les rues en silence, mais il me regardait avec des yeux tristes, des yeux pleins d’incompréhension et de mépris.
A tel point que je ressentis une abominable douleur au ventre, je me tordais, une ambulance me porta aux urgences, il fallait m’opérer aussitôt, allongé sur le charriot je voyais défiler les lumières des plafonds, un chirurgien se tenait aux côtés de l’anesthésiste, je reconnus Piano, un masque blanc devant le nez et la bouche, en blouse bleue : C’est vous qui allez m’ouvrir le ventre ? murmurai-je. Comme vous, je fais ce qu’il me plait, ricana-t-il, et je sentis le froid de l’anesthésie parcourir mes veines.
Un personnage peut-il tuer son auteur ? Telle fut ma dernière pensée.
Avant de me réveiller dans un lit d’hôpital. Quel bonheur, me dis-je, je vis toujours, ouf ! Mais je remarquai autour de moi des nuages, des anges et des musiques de béatitude. Me trouvai-je au Paradis, mort et déjà éternel ? Ou bien, était-ce une farce de Piano, pour se venger de la liberté désinvolte que j’avais prise en croyant avoir le droit de l’abandonner ?

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