Il y eut, ces années-là, sur la planète, une grande et neuve interrogation sur l’avenir de l’être humain. Qui semblait bien compromis.
Hildegarde Berg se comptait parmi les partisans d’une diminution de la taille ordinaire de l’humanité, et des bienfaits que le nanisme apporterait : elle mit son fils Arturo en pot dès sa naissance, lui ligatura les membres, freina sa croissance, comme l’on fait au Japon avec certains arbustes. Si bien qu’à quinze ans, le jeune garçon, qui n’avait jamais entendu parler d’un père, mesurait soixante centimètres, seule sa tête s’était développée, et fier d’être extraordinaire malgré ses souffrances il pensait avec sagesse.
Une publicité internationale s’agitait autour du gamin, et bientôt de multiples adeptes l’imitèrent. Alors Hildegarde lui tint ce langage :
« Mon petit, je veux faire de toi le premier humain d’une nouvelle ère. Je vais te présenter aux prochaines élections, tu les gagneras bien sûr, tu seras élu roi de Cacanie, parce que tu susciteras de l’émotion, parce que tu es différent. Et surtout parce que tu représentes une belle perspective pour l’humanité : un être minuscule consomme peu, a moins besoin de pomper l’énergie de la terre, réchauffe plus modérément le climat, préserve l’eau. Tu seras un Messie, mais je te préviens : au bout d’un an d’enthousiasme, on te critiquera, on se moquera de toi, on détestera ta petitesse, et il faudra attendre ta mort ou la fin de ton règne avant que l’on s’aperçoive que tu avais en définitive raison, que ton exemple traçait l’avenir. »
Tout se passa d’abord comme la mère l’avait prédit, il fut élu, mais les années passèrent et le peuple ne se mit point à haïr le petit chef : au contraire, son état devint l’exemple à suivre, le nombre des adeptes augmenta, la terre se peupla de petits êtres qui se contentaient de peu, les glaciers reprirent des forces, la couche d’ozone soigna ses plaies.
Mais le roi Arturo en arriva à regretter sa gloire, à douter du bien-fondé de la révolution qu’il incarnait. Il rêva d’une réaction, d’un retour en arrière avec de bons vivants, grands, gros et bêtes, qui mangeaient trop, prospéraient, progressaient, massacraient la planète.
Car il aurait bien voulu au plus profond le lui-même suivre à la lettre les prémonitions de la somptueuse Hildegarde, être rapidement détesté, grossièrement moqué, vite abandonné, quand l’univers entier continuait à approuver sa politique et la monstruosité de sa petitesse.
Vilaines Pensées 183 : Fier de devenir minuscule ?
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