Depuis quelques jours, ici, maintenant, on s’affole des gestes de quelques gilets jaunes qui osent, ces bougres, crier leur détresse, leur angoisse de ne pas avoir assez d’argent. On s’émeut à juste titre. Bon.
Mais les voix des raconteurs, les multiples experts, nous ont bassinés sur les médias et réseaux sociaux triomphants avec l’originalité de ces mouvements anarchiques, inorganisés : ce serait inédit, neuf, symbole d’un changement d’esprit. On a oublié les révoltes d’antan, tout autant inorganisées, qui réclamaient du pain aux rois. On oublie que les encadrements politiques, syndicaux, sont bien plus récents que ces cris spontanés qui purent, aussi, autrefois, avoir gain de cause.
On croit bêtement que notre époque est inventive, quand elle ne fait que ressasser des agissements et des luttes classiques, on se figure que notre Histoire évolue, quand elle piétine depuis des milliers d’années : c’est ce que, la main dans son gilet bleu, M. Piano disait à ses élèves.
« Reportons-nous, continuait-il, à ce que nous pourrons penser dans le futur : en 2046, un nouveau Président du continent Nord-Américain sera un odieux commerçant qui organisera la protection économique de ses électeurs, lancera des anathèmes contre le souci de la protection de la nature, on se scandalisera de cette étrangeté inattendue. On aura oublié les délires d’un gros joufflu à la mèche aussi jaune que certains gilets.
« En 2071, des groupes islamiques dirigeront des attentats contre l’Occident mécréant, on aura la panique devant cette situation qui semblera inédite, on aura oublié les drames et les cadavres du début du siècle. L’Histoire ne se répète point en farce, sanglante elle tourne en rond.
« En 3028, on applaudira une autre nouveauté, un ordinateur capable de calculer l’innombrable et de créer de algorithmes. On aura oublié qu’un millénaire auparavant on s’extasiait tout autant : les massacres humains, la planète réchauffée et inondée auront obscurci et noyé cette mémoire. »
Ce que prédisait M. Piano nous parut une horreur. Pour calmer les colères des étudiants, Mme Piano, plus subtile que son compagnon, lui demanda : Dis-moi, que veux-tu manger le 31 octobre 3032 ?
On riait. On aimait beaucoup rire avec M. Piano, surtout quand il annonçait l’avenir avec une telle perfide raison.
Vilaines Pensées 188 : L’Histoire est un oubli permanent
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