blog de François Coupry

Vilaines Pensées 189 : La cavalcade des malentendus

V

Je suis malheureux : tels sont les mots que j’ai prononcés l’autre jour devant mon téléphone qui prend aussi les images. Il faut croire que j’avais une figure triste et adéquate, car ma tête et ma phrase ont fait, de réseaux en réseaux, le tour du pays. Depuis, je suis dépassé par les événements. Des tas de gens qui n’arrivaient pas à payer leurs dettes se sont identifiés à moi, et mon image est devenue un symbole, un drapeau, lors des nombreuses manifestations qui ont bloqué à moitié le pays. Dès le deuxième jour, j’étais pris dans un engrenage, je ne pouvais légitiment plus expliquer que si j’étais malheureux, ce n’étais pas uniquement parce que je n’étais pas riche, ou parce que mon emploi était menacé, mais surtout parce que Prescillia venait de me quitter, m’abandonnait pour bien d’autres raisons que ma pauvreté relative et la menace imminente du chômage. Dès le troisième jour, des personnes qui avaient des problèmes pour acheter dans les supermarchés m’ont porté sur leurs épaules, en dépit de mes protestations, à la tête d’une manifestation, nous nous sommes heurtés aux forces de police, on a proclamé que j’avais été tabassé. Dès le quatrième jour j’ai passé des heures à être interviewé par les organismes de communication et d’information en direct. J’avais une grosse bosse sur le front, mais pas du tout des stigmates de coups de matraque, dans la précipitation j’étais tombé dans mon escalier, on n’avait même pas eu besoin de me maquiller, mais je ne pouvais évoquer cette chute, j’aurais été encore plus ridicule. Car, ridicule, je l’étais, je bafouillais, incapable de raconter en vérité les causes complexes de mon malheur. On attribua mes balbutiements à mon absence d’éducation, je devins l’emblème d’une population délaissée, privée de parole, ma sincérité était prouvée. Ma notoriété grandit, il me fut désormais impossible d’être taxé de ridicule, je devins sublime. Dès le huitième jour, le gouvernement tomba. Pour remédier à cette anarchie, des partis politiques habituellement opposés poussèrent ma candidature à la Présidence, au nom d’un peuple qui ne pouvait plus s’exprimer. Je risque d’être élu. Et, si je dispose maintenant d’un large pactole, je suis de plus en plus malheureux. D’une part, parce que je n’ai aucune idée pour gouverner un pays, rendre les autres heureux. D’autre part, parce que Prescillia, mon amour, est revenue, et je ne sais si c’est par opportunisme ou par pitié.

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