A Pékin, l’aigle, au milieu des tentures devenues jaunes, toisa de nouveau ses invités, la famille Piano, le père, la mère, la fille et le petit-fils :
« Maintenant, disait-il, que je suis devenu oiseau, et que j’ai la liberté de parole, je peux vous avouer que, lorsque j’étais un humain, je consacrais mon temps à conseiller secrètement les gouvernements chinois. Nul, aujourd’hui, même pas mon maître Xi, ne peut m’empêcher de vous révéler comment fonctionne le Pouvoir, en sa sagesse, sa délicatesse et sa perversité : il faut laisser la parole au peuple, comme lorsque l’on soulève un couvercle de marmite pour délivrer la vapeur, l’odeur. Que mille fleurs s’épanouissent, proclamait mon ancien maître, le vénéré et rusé Mao.
« Mais, attention, et c’est là qu’intervient l’art de la subtilité sournoise, s’il faut écouter le peuple, on doit faire semblant de lui obéir sans qu’il puisse s’apercevoir de la comédie. Dans une assemblée, lors de réunions, de débats, si vous avancez d’emblée votre projet vous susciterez la colère, un soupçon de tyrannie, tandis que si vous attendez l’instant où quelques participants, d’eux-mêmes, envisagent vaguement une proposition qui ressemble un peu à la vôtre, et si aussitôt vous la reprenez, l’étayez, faisant mine de n’y avoir jamais pensé, comme une révélation dont vous remerciez vos concitoyens, alors vous atteindrez le délicieux plaisir de paraître démocrate. Pour avoir raison, il faut toujours laisser croire que c’est l’autre qui a raison. Et ni s’en offusquer, ni s’en glorifier. »
A ces mots, M. Piano sauta en l’air, tout fou : « S’il faut devenir animal pour enfin dire la réalité cachée, alors, bon sang, que je devienne panda ! »
L’aigle de Xi eut un rire aigu, signe de sa puissance ou de son ancienne humanité, il agita ses ailes immenses, et M. Piano devint un gros panda noir et blanc qui ouvrit la gueule pour enfin dire la vérité, en sa liberté :
— Ayaouou ! Ouahhi ! Waahaou, gougou ! Babahi, bouca ! Ayouiiii !
Hélas, Piano parlait panda, et personne ne parlait le panda, même pas l’aigle de Xi qui rigolait, même pas Mme Piano qui s’horrifiait, la fille qui pleurait son papa perdu, et même pas Clavecin Piano qui ne parvenait plus à devenir Dragon pour ajouter une touche de dessin animé au désordre.
Prévenu par l’Ambassade, je pris le premier avion vers la Chine, afin de secourir mes amis, l’aigle rigolait de plus en plus… (A suivre)
Vilaines Pensées 195 : L’aigle de Xi (2)
V