blog de François Coupry

Vilaines Pensées 198 : Piano super-comique ?

V

Le samedi où M. Piano mit un gilet jaune, un gilet avec des boutons d’or, Mme Piano pleurait telle une héroïne antique, persuadée que son époux allait à la mort. Elle ne put le retenir, Piano défila vers l’Arc de Triomphe, au milieu des gaz lacrymogènes, des vitrines brisées, brandissant une pancarte où s’inscrivaient ses revendications les plus sincères :
« Je veux que les simplifications, les lieux communs ressassés par des journalistes qui croient tout savoir des sciences économiques et politiques, soient interdits sur les chaînes de télévision ;
« je veux que l’édition d’une littérature et d’une poésie banales, popularisées et formatées, soit prohibée, et qu’uniquement les inventions, l’originalité, le génie, soient autorisées, sans aucun souci de compétition ou de résultats immédiats et commerciaux ;
« je veux que l’on arrête, sous peine d’emprisonnement, de produire des films et des séries obstinément médiocres, répétitifs, vulgairement joués et mis en scène, à la seule fin d’abrutir et d’uniformiser les pensées, et d’obtenir des succès rentables avec l’assentiment endormi d’ignares qui négligent l’histoire de l’art, la culture ;
« je veux que soit valorisée une éducation pointue et difficile, rejetant ceux qui se figurent que tout mettre au niveau des plus crétins serait un progrès social, quand ce n’est qu’un mépris, un entrainement vers la bêtise ambiante, la méconnaissance des réalités ;
« je veux que l’on interdise les réclames, les publicités, et surtout de prendre des photos avec des téléphones et de les envoyer au monde, ce qui ne fait qu’enrichir des capitaux déjà prospères, car les images ne signifient rien, si elles ne sont pas expliquées par des mots ;
« bref, je m’insurge au nom d’une classe sociale oubliée, délaissée par les gouvernements et le règne absolu des médias : l’élite intellectuelle. »
Sous sa pancarte, Piano défilait les yeux fermés, s’attendant à être matraqué, se disant toutefois que ses phrases trop longues ne seraient point comprises, au pire taxées de réactionnaires en ce siècle qui s’imagine moderne : mais voilà, son image et ses revendications firent le tour de l’univers, il fut applaudi comme le plus grand comique de la semaine, ses propos étant pris au dixième degré, un humour décalé, révolutionnaire, ravageur, qui forcément déclarait le contraire de ce qu’il affichait.
— Mon héros ! fit Mme Piano ; mais c’était lui qui maintenant pleurait.

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