Ça devait arriver : à force de répéter que le langage noie forcément la réalité, et que la vérité est impossible à cerner, et que les récits ne peuvent que mentir, pour une fois que j’écris, dans ma dernière Vilaine Pensée, tout à coup quelque chose d’hélas exact, beaucoup de lecteurs n’y ont vu qu’une pirouette finale, un effet de style, un procédé presque de mauvais goût. Mais cette distance n’était-elle pas secrètement mon but, afin de masquer, travestir un réel trop dur, inadmissible ? Si je vous racontais comment j’ai été mangé par un lion, ce serait plus simple à dire, à lire.
Vilaines Pensées 210 : Éloge de la résurrection
Mon épouse, Mme Piano, ne souhaitait pas que, pour le première fois, j’ose prendre directement la parole, en ces Vilaines Pensées, rapportant ce que FC, mon ami, me disait la semaine dernière : « Il y a un événement merveilleux, rayonnant, dont ma religion catholique ne parle plus, et qui pourtant a illuminé mon enfance : la résurrection des morts ! Le Christ, ressuscité Lui-Même, offrirait à tous les cadavres humains ce Corps glorieux et transfiguré dont il a bénéficié après sa mort, et tous ces cadavres gris, verts, se lèveraient de leur tombeau, et iraient, iraient où ? et quand ? et comment ? « Cette image saisissante a nourri le terrain de tant de récits fantastiques, mais demeure de l’ordre de l’imaginaire, et à part certains scientifiques de haut niveau, qui savent que l’on peut...
Vilaines Pensées 209 : Détruire, preuve d’humanité
Eléonore Benedict, née à la fin du vingtième siècle, déchira très tôt toutes ses poupées, cassa ses jouets, creva les yeux de son ours en peluche, et exaspéra durant vingt ans ses parents, propriétaires d’une agence immobilière, à tel point qu’ils finirent par se suicider. Le juge d’instruction conclut que c’était classique dans la logique freudienne des inconscients où la progéniture malmène forcément ses géniteurs. Majeure, elle prit la direction de l’entreprise qui périclita rapidement à la suite d’investissements tordus et d’achats de terrains peu rentables. De même que le couple qu’elle formait avec le plombier John Landys s’étiola, miné par trop de reproches, de soupçons réciproques d’adultère, tandis que dans la maison des faubourgs les assiettes se brisaient, les meubles se...
Vilaines Pensées 208 : L’âne astrophysicien (4)
Cette semaine, la dernière, nous sommes revenus voir Wolfgang von Picotin, la famille Piano et moi. Nous étions au milieu d’une foule de badauds, de professeurs, de prêtres et de journalistes avec caméras et micros, sur le pré, proches de l’âne toujours traduit par l’aigle : « Vous avez le droit de me demander comment je suis revenu de mon voyage jusqu’au fin fond insondable du cosmos. Eh bien, frères humains qui bientôt ne vivrez plus, je n’en suis pas revenu entier. Fuyant le chaos, les discontinuités qui me déchiquetaient, et ces sphères impénétrables qui me renvoyaient de l’une à l’autre tel un pantin désarticulé, je tentais en m’agitant bêtement de regagner notre système solaire dont j’avais la nostalgie, si ce sentiment mesquin avait encore un sens en cette pagaille. » Tout à coup...