blog de François Coupry

Vilaines Pensées 215 : Une trop belle histoire ?

V

Agustina Llarma et son frère Matteo vivaient au village de San Bernardo. Jusque là, rien d’extraordinaire.
Mais Agustina, dès son plus jeune âge, répara les destins, soulagea les affres des humains de la contrée. Elle trouvait par exemple les bons arguments pour réconforter la veuve du suicide de son époux. Ou bien savait arranger l’héritage compliqué de la famille Santiago, rassérénant les esprits. Ou bien découvrait où était caché le trésor des Remblote et le partageait entre les gens du quartier. A chaque instant on l’appelait, elle eut bientôt quatre-vingt-dix ans, on l’aimait, la récompensait.
Quant à Matteo, son frère, dès son enfance il eut le génie de se souvenir de tout, et à quatre-vingt-quinze ans pouvait décrire l’image exacte de l’église du village au siècle dernier, dire où se nichait l’épicerie autrefois, savoir pourquoi les Agnelli n’avaient pas acheté le garage des Barmia. On faisait sans cesse appel à lui pour conserver le passé, et avec sa sœur ils vivaient richement, l’un de ses bienfaits, l’autre de sa mémoire.
Or voilà : la vieille Agustina eut une attaque au cerveau. Dès son réveil à l’hôpital, elle arracha les tubes qui lui tombaient du nez, bouscula les médecins : Je n’ai pas le temps d’être malade, je dois m’occuper du petit Carlo qui ne sait toujours pas lire, nourrir les cochons de la famille Prato qui risque la faillite. Elle partit aussitôt, guérie, pour aider les autres.
Et voilà : un an plus tard, on découvrit un cancer fatal aux poumons de Matteo, et le village entier menaça les docteurs : que deviendrait après la mort du frère la mémoire de San Bernardo ? Le village se serait que ruines mangées par les herbes : les médecins oublièrent le cancer. Qui guérit.
Aujourd’hui, le frère et la sœur, l’un raccommodant les destinées, l’autre accrochant sur le sol les marques du passé, ont respectivement cent trente et cent trente-cinq ans : aucun docteur en médecine n’ose leur annoncer le moindre signe d’une quelconque maladie, même bénigne.
Évidement, de mauvais esprits cherchent des poux à cette trop belle histoire. On prétend sur les réseaux sociaux que Agustina crée elle-même les misères pour mieux les réparer, et que par exemple ce fut elle qui, avertie par les connaissances archéologiques de son frère, vola le trésor des Remblote, afin de facilement le découvrir et faire œuvre de charité. Et, néanmoins, on soupçonne aussi la mémoire de Matteo de n’être qu’un récit imaginaire : on voit maintenant des complots contradictoires partout !

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