Rien à faire ! Je ne parvins pas à retrouver ma vieillesse ! Je fis semblant d’avoir un coma qui me permettrait peut-être de regagner mon âge véritable et vénérable, mais il ne fut qu’éthylique ! Et la médecine me négligea !
Assumant finalement ma jeunesse, mais renonçant aux puérils points d’exclamation, je logeais comme un petit-fils chez Mme et M. Piano, qui avaient mon âge réel et avec qui j’avais partagé toutes les désillusions.
Ce fut horrible : redevenu trop jeune, je ne partageais plus les idées du professeur Piano, qui analysait les renversements des valeurs, les mutations de la culture. Il m’apparut soudain comme un imbécile sénile. Et j’avais beau me dire que j’avais suivi la même évolution que lui, je ne comprenais plus sa génération, qui pourtant était la mienne, et il ne comprenait plus ma génération, dont je possédais l’apparence colorée et l’énervement à fleur de peau tout en conservant en moi les acquis et le recul d’une existence antérieure. J’étais brisé, j’avais l’esprit démembré, écartelé.
Mais le plus abominable, ce fut que tout en regrettant ma haute maturité je me mis à aimer mes dix-neuf ans : j’eus plaisir à vivre dans l’immaturité et l’espérance. Je savais que, lorsque j’avais physiquement mon vrai âge de soixante-dix ans, je détestais cet univers de guerres économiques et religieuses, cette uniformité des villes et des caractères, l’abrutissement des informations et des publicités, cette atmosphère de fin du monde. Mais voilà que j’éprouvais un optimisme qui ne parvenait point à se désespérer, un optimisme virulent qu’un Piano ne saurait admettre.
Nous, les jeunes, aujourd’hui, nous ne pouvons plus ne pas croire à l’avenir, nous sauverons la planète, nous conserverons l’humanité et les animaux terrestres, nous maintiendrons un équilibre de la nature, nous préserverons le climat, nous construirons un nouveau futur, n’en déplaise à tous les Piano. Voilà ce que je pensais, enthousiaste, mais sachant que le vieillard lucide, en moi, se moquerait de ces bêtises que tous les jeunes, depuis des siècles et des siècles, ont prononcées, et qui se sont brisées, démembrées, écartelées dans la routine épuisante de la réalité.
Enthousiaste, optimiste, je devins complice avec Clavecin, le biologique petit-fils de Mme et M. Piano, qui, on le sait, est un personnage de dessins animés, se transforme tout le temps : je pars en vacances avec lui, je vous raconterai nos déambulations à notre retour, fin août…
Vilaines Pensées 216 : Malheureux Faust (3)
V