blog de François Coupry

Vilaines Pensées 218 : La vie avant la vie

V

Tout le monde connait les fantômes, les esprits des corps morts qui nous hantent avec leurs regrets, leurs gémissements sur des existences terrestres ratées, des ambitions ou des amours trahies, leur goût de vengeance, les âmes des morts sont sordides, rarement amusantes.
On connait moins les âmes pas encore installées dans des corps, celles qui attendent un embryon pour s’y loger, et mouvoir cet ensemble de cellules que les sciences bornées mettent en avant. Ces âmes paraissent plus fraîches, pures, naïves, plus évanescentes et difficiles à remarquer que celles qui se sont déjà incarnées, mais autant sordides, peu amusantes.
En tant que prêtre hérétique et confesseur attitré des fantômes, parfois ces âmes point encore incarnées viennent me visiter pour m’avouer leur désir, leurs espoirs pour une vie future, en la maison au bord du fleuve où je prends souvent la forme méditative, hiératique, d’un hibou.
Sur les milliards de milliards d’âmes en attente, je n’en ai vues que quelques millions. Sans me livrer à la manie arithmétique des statistiques, je peux affirmer que rares sont ces âmes qui rêvent d’occuper et de faire vibrer les chairs d’un ouvrier, d’un employé, d’un subalterne : presque toutes veulent occuper les gestes, les atomes et l’existence d’un chef, d’un décideur, d’un héros, d’un gagnant, d’un roi ou d’une reine, au pire d’un président d’une république. Et j’ai beau, en ma béatitude, leur exposer les soucis, les malheurs de tout chef, elles ne renoncent pas à leur désir.
Cela en dit long sur une nature humaine, si du moins cette notion abstraite possède un sens plausible. Or, ce qui en dit encore plus long, ce sont des constatations récentes dont ma propre âme s’émeut.
Une majorité se dessine aujourd’hui, en ces souhaits d’incarnation, pour se nicher en priorité dans des corps féminins, méprisant des histoires trop masculines, violentes, répétitives, barbantes. Mais, même si elles privilégient cette option féminine, en vérité je reçois de moins en moins d’âmes à la recherche d’un embryon humain. Elles préfèrent demeurer dans l’évanescence, l’attente. Comme si une carapace et une pensée humaine ne présentaient plus aucun avenir intéressant pour les temps futurs, en ce cosmos peuplé et bondé d’esprits déjà ou pas encore incarnés.
Il est possible que je m’envole, cette nuit, et profite de mon âme de hibou pour regarder cette mourante planète Terre d’un autre œil.

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