Le beau matin où Lord Aux sortit du ventre de sa duchesse de mère, il se lava, négligeant les nurses, enfila son costume moelleux de bébé, il était content de venir au monde, quand sa maman doucement lui dit :
« Monsieur mon fils, bienvenu dans cet univers humain qui, hélas, n’a rien de splendide. Permettez-moi de vous raconter votre destin, que vous suivrez à la lettre, car vous êtes un bon enfant, mon chéri.
« Vous n’aurez pas de père. Il est possible que j’ai connu, comme dans la Bible, votre papa, votre géniteur, mais il s’est enfui de ma mémoire, donc de la réalité. D’ailleurs, un père ne sert plus à grand-chose, on le sait enfin aujourd’hui, les sciences exactes nous le prouvent, nous le serinent.
« Moi, votre seule génitrice, j’ai pris langue avec mon ami Dos Prisos, nous avons conclu un accord. Dès que vous aurez, monsieur mon fils, des poils sur le corps, il vous engagera dans sa Fabrique de Trottinettes, mondialement cotée en bourse. Vous y serez nommé directeur commercial.
« Attention : vous devrez vendre des trottinettes, et encore plus de trottinettes. Je vous préviens, une mère doit être charitable : durant plus de quarante ans, vous vivrez dans l’angoisse de ne pas vendre assez de trottinettes, de ne pas réaliser un bénéfique chiffre d’affaire, la concurrence sera terrible, et la perspective d’être congédié encore plus affreuse. Mais, monsieur, vous réussirez. Sans père, vous êtes purement de mon sang.
« Toutefois, je vous le prédis, une épée suspendue en l’air tombera sur votre nuque. On s’apercevra bientôt que les trottinettes ne sont pas écologiquement correctes, car les sueurs humaines des rouleurs acharnés sont nocives, polluent l’atmosphère, font des trous dans le ciel bleu. Votre emploi sera menacé. Cependant, vous parviendrez, procès après procès, à atteindre l’âge canonique et espéré de la légale retraite.
« Enfin devenu vieux, vous pourrez vous reposer quelques temps, ne rien faire, ne rien vendre, jouir avec votre famille et mes petits-enfants, dans un petit pavillon de banlieue, d’un bonheur, ce but ultime de l’humanité, je vous le promets. Embrassez, monsieur mon fils, le front de votre mère. »
Pour échapper à cet effrayant destin, Lord Aux se jeta sur cette femme, lui écarta les cuisses, suivit le chemin d’un père, pénétra de la tête le vagin jusqu’au paradis d’herbes, de rivières et de nénuphars où il avait passé sa vie prénatale, sa mère criait de jouissance, au fond cette histoire est banale.
Vilaines Pensées 223 : Un destin merveilleux
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