Oui, j’ai parcouru le temps avec le chien Tengo-san, et très souvent j’ai remarqué qu’il me parlait, et je ne l’entendais pas. Mais, je continue à vous l’affirmer, rien, ou si peu, de ce que j’ai vécu dans votre passé, votre présent ou votre futur, ne correspond avec ce que racontent vos historiens.
Par exemple, on prétend qu’en 2099 après Jésus-Christ, au début de l’ère Ho, le fameux Pao Dao, célèbre pour son art des cuissons loin du feu, tua son épouse : inexact. Elle est morte des années plus tard, j’y étais, c’est moi qui l’ai rendue malade. Les annales cosmiques prétendent qu’en 2152 il n’y avait plus aucun être humain sur votre planète : inexact. J’y croisai encore quelques écologistes perplexes. On prétend au Moyen-Orient qu’en 1483 après l’Hégire les ordinateurs et le numérique avaient disparu : inexact, j’y étais. Déjà dans les années 1440, c’est à dire vers 2070 de l’ère chrétienne, nous les avions jugé obsolètes, et l’informatique avait été jetée aux orties.
En revanche, certains honnêtes historiens raconteront qu’en 2019, en votre aujourd’hui, quelques humains émigrèrent au dix-huitième siècle occidental : incroyable, mais exact. J’y étais, et de nombreux déçus, désespérés par l’évolution de leur civilisation, prirent les routes de l’exil, empruntant des trous rouges récemment découverts entre les univers parallèles, pour se réfugier par le passé, demandant l’asile politique.
Mario Piano fut parmi eux. Révolutionnaire dans l’âme, il était passé par le maoïsme, par le libéralisme économique, par l’écologie, avant de se dire marxiste de droite, puis trans-humaniste radical, et il en avait assez de se tromper sans cesse, girouette dans l’air de son époque. Il émigra donc vers ce dix-huitième siècle occidental, au moment des Lumières, quand toutes les idées étaient encore possibles, neuves, avant d’être édulcorées, brisées.
Ces exilés venus du futur furent très mal accueillis. Ils rencontrèrent des gens naïfs, religieux, frais, croyants, pleins d’espoir, quand eux éprouvaient une profonde répugnance à croire. Etrangers, on les parqua dans des camps à la campagne, avant de constater la difficulté à les intégrer, les assimiler.
Mme Piano ne suivit pas son mari, elle demeura dans son présent, ce début épouvantable du vingt-et-unième siècle, pensant que les femmes, elles seules, pourraient remédier aux idioties ancestrales des mâles. M. Piano, réfugié dans le passé, souffrit trop d’être séparé de Mme Piano.
Vilaines Pensées 226 : Encore des faits faux, ou d’autres trop vrais
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