blog de François Coupry

Vilaines Pensées 227 : Un discours fatal

V

Hier, M. Piano a prononcé un discours dans une salle de province française. On lui avait conseillé de se taire, il était iconoclaste, transgressait trop, cela n’intéresserait personne. Effectivement, il n’y eut pas grand monde, du moins au début, pour l’écouter, mais cela lui fut fatal.
« Nous avons aujourd’hui, commença-t-il, l’obsession de l’harmonie, celle du corps, celle de la société. De vieux médecins, ayant fait leurs études à la fin du siècle dernier, croient encore qu’un déséquilibre du coeur a des répercutions dans les rotules, dans les poumons, jusque sur la couleur des cheveux. La biologie actuelle nous apprend que chaque organe est indépendant, que le foie ignore les problèmes de l’intestin, que l’estomac vit sa vie en dehors des mouvements de la digestion, et que les connexions du cerveau ne dirigent en rien les gestes des mains ou des jambes, pas plus qu’un battement d’aile de papillon au bord du Mississippi n’aurait une incidence sur la crue d’un vague fleuve chinois après la pluie. »
Cela commençait mal et la salle bientôt se remplissait.
« Dans notre société, autant disparate qu’un corps biologique, une autre obsession surgit, continuait Piano : la nécessité d’un père et d’une mère pour procréer, sans s’inquiéter des catastrophes issues des familles traditionnelles depuis des siècles. Des études chimiques récentes nous montrent que l’on peut créer des existences sans passer par des rapports soit-disant sexuels : par exemple en recyclant des matières plastiques, des ordures ménagères, ou surtout en remaniant les atomes des cadavres déterrés des cimetières, ce qui produit des bébés tout aussi frais. »
La foule envahissait la salle, grognait, s’invectivait, Piano persévérait :
« Une autre obsession grandit, celle de la laïcité. Qui serait neutre, hors de toute religion. Mais sans songer un quart de seconde que le moindre de nos actes, se serrer la main, manger ensemble, s’habiller, se laver, faire ses besoins aux cabinets, converser, s’aimer, se coiffer, travailler, commercer, est entièrement imprégné des rites des diverses religions contradictoires et des signes des multiples dieux opposés qui nous accompagnent depuis que nous avons voulu réfléchir, et nous réfléchir dans le cosmos. »
C’était trop. Notre ami ne put continuer : la police républicaine, unie et fraternelle l’arrêta. Contrairement à ce que prétendit la semaine dernière l’un des auteurs de ces Vilaines Pensées, Mario Piano n’émigra point de son plein gré au dix-huitième siècle, il fut exilé de force dans le passé.

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