De quelles poches secrètes tirait-il sans cesse ses déguisements et ses masques, c’est-à-dire sa réalité, le petit-fils de M. Piano, notre cher Clavecin ? Voilà l’une de ses journées, parmi tant d’autres :
Au réveil, en costume cintré, cheveux ras et barbe longue, il présida le Conseil d’administration de GutVat, la fabrique de confitures héritée du père de sa grand-mère. Rien n’est plus beau que les fortunes transmises.
Ayant assuré son capital, il prit un ascenseur vers les sous-sols, et là, avec des cheveux longs, le visage vieux et en gilet rouge, il réunit les ouvrières, les incita à faire grève : les confitures étaient dégueulasses, issues de molles fraises génétiquement modifiées. On l’applaudit, on se révolta, on chanta l’Internationale. Rien n’est plus beau que la trahison, le double-jeu.
Puis, avec sa neuve voiture électrico-écologique, ayant mis une cape noire, des canines longues, ayant verdi sa face, Clavecin assista à une réunion de monstres en un pavillon de banlieue parisienne grouillant de loups-garou, de morts-vivants, préparant la grande invasion destructrice de l’Europe. Rien n’est plus beau que d’être une vermine active.
Il était déjà midi, avec un costume à carreaux, tignasse hirsute et poire-klaxon à la main, il prit l’avion pour la Maison Blanche afin de concocter, avec des trumpistes à la solde de Poutine, des rachats d’entreprise et des combines financières. Pouet ! pouet ! fit sa poire : rien n’est plus beau que de manipuler, commercer, abuser. Bien sûr, il avertit les concurrents.
On ne sait plus quand, avec ces décalages horaires, il redevint femme, robe verte moulante et cheveux frisés, revit les bébés qu’elle avait conçus avec un acteur international, les tua lors d’une fiesta au champagne, les mangea cuits à la broche. Rien n’est plus beau que de transgresser les lois.
En hélicoptère supersonique, notre Clavecin, maintenant djihadiste, en de nouveaux décalages horaires se rendit auprès des islamistes, en Iran, en Syrie, en Iraq, partout : il leur vanta les bienfaits de la démocratie, de la tolérance, il se retrouva en prison, se mit en haillons avec des chaines aux pieds, rien n’est plus beau que d’être condamné, pauvre, dépossédé.
Il s’échappa de ces barbelés, se métamorphosant en roi puissant d’un pays oublié, avec perruque blanche et bas de soie. Rien n’est plus beau que de devenir ce que l’on n’est pas. C’était peut-être déjà minuit.
Telle fut donc, parmi d’autres, une journée de Clavecin, un trans-humain candide, contradictoire et amoral, jouant sans vérité ou identité stables.
Vilaines Pensées 228 : Les métamorphoses de Clavecin Piano
V