blog de François Coupry

Vilaines Pensées 229 : Rapport pour une académie

V

Éminents membres de l’académie des mammifères terrestres, madame la girafe présidente, vous m’avez fait l’honneur de me demander, à moi le chien Tengo-san, ayant beaucoup vécu, un récit de mes voyages dans les autres dimensions avec l’âne astrophysicien, von Picotin. Mais vous me priez de vous raconter cela en langue humaine, soit-disant universelle : en suis-je capable ? J’en doute. Car le langage des humains, en vérité, est pauvre, étroit, raisonnable, et les univers parallèles si extraordinaires.
Par exemple, ayant atteint, grâce aux fameux trous rouges, un monde que je nommerai X, l’honnêteté me contraint à vous donner, pour être exact, la description suivante d’un certain paysage : « érables le bordé par était lac des », ce qui transcrit mon ressenti, mais ne peut être lu que comme un désordre par celui qui connait cette langue humaine incapable de dire l’indicible. De même, si je parle d’un être vivant dans l’univers que je vais nommer Y, je ne puis que vous proposer cette tentative de traduction : « il était droit et courbé, descendit en haut de la maison sans étage, tua son fils pour ensuite être enceint de lui », phrase qui vous fera rire, éminents académiciens, mais qu’un humain borné saisira mal, quand son espèce archaïque ne vient de découvrir que très récemment l’usage de concepts vrais et faux en même temps, valant mathématiquement à la fois 0 et 1.
Votre idée était stupide, de vous exposer en langage d’homme des choses trop subtiles, détonnantes. Usant du sérum du labrador Valentin, qui permet de se mettre quelques instants dans le point de vue de nos frères à deux pattes, j’ai pu me rendre compte de l’état primaire de leur compréhension.
Par exemple, au lieu de voir le monde terrestre en noir et blanc, ce qui est élégant, ils l’admirent avec des couleurs criardes et laides, ce qui leur brouille les sens. De plus, ils ramènent tout à eux, se prétendant sujets grammaticaux : je marche, je tourne, je cours. Tandis que nous, les chiens, dirions : l’odeur d’une feuille morte me pousse à marcher, à renifler, le bruit d’une porte qui claque m’oblige à tourner, la vision d’un camion qui risque de perdre son chargement mal arrimé, me fait courir à toute vitesse.
Je suis désolé, mais pour vous narrer mes odyssées avec l’âne, éminents académiciens mammifères, madame la girafe présidente, je ne puis qu’aboyer, la gueule vers la lune, comme si j’étais un animal supérieur.

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