Vilaines Pensées 230 : Les surprises de l’avenir

Il y a dix ans, en 2075, je rencontrai Emma Lena dans les beaux jardins de palmiers et de mimosas qui remplaçaient les tours de Hong Kong et elle me raconta sa rencontre avec les dirigeants des pays les plus riches en 2019 sur un îlot du Pacifique. M. Piano aurait dû y assister, mais il était exilé au dix-huitième siècle, on le sait. Le thème de cette conférence secrète fut pathétique : comment supprimer au moins la moitié de cette population humaine qui pollue la Terre, avant qu’il ne soit trop tard, les précautions écologiques envisagées ne pouvant suffire pour sauver la flore et la faune ?
Emma Lena me développa les hypothèses émises à l’époque. Les complexités accentuées de l’informatique, ainsi que la profusion des mots de passe, rendront fous les vieux de plus soixante ans, ce qui les éliminera vite et résoudra le problème des retraites. Le manque de plus en plus prégnant de perspectives d’emploi augmentera le nombre des suicides des jeunes, ce qui fera de la place, de même que les guerres civiles, partout dans le monde, renverront les révoltés vers un possible paradis, quand les carences de l’éducation et la méconnaissance de l’Histoire en font des proies naïves, faciles. Plus généralement, l’abêtissement global des individus, la confusion entre publicités souriantes et aguichants programmes politiques, engendreront des dictatures qui feront le ménage, coups de balai facilités par le désespoir commun de constater que les objets quotidiens se détraquent, tout devenant du toc sans consistance.
Je n’avais pas bien compris si les propos d’Emma Lena et les conclusions des experts exposaient un complot divinement organisé par quelques têtes pensantes, ou bien la constatation d’une pente inéluctable, combinant des facteurs hétéroclites, sans manipulation extérieure, pour, quoi qu’il en soit, aboutir aux mêmes exterminations et à ce grand nettoyage ?
Mais, aujourd’hui, en 2085, la terre est débarrassée de ses parasites, elle est redevenue viable, sereine, en équilibre entre culture et nature, elle respire mieux. Or, on le sait, aucune des causes, des hypothèses destructrices énoncées par Emma Lena, n’a joué un rôle dans cet assainissement. Nous en connaissons maintenant la véritable raison, et ce n’est ni un plan politique prémédité, ni un hasard impensable et farfelu.