blog de François Coupry

Vilaines Pensées 231 : L’avocat de l’innocent improbable

V

Monsieur, je suis votre avocat. Vous avez été arrêté, vous êtes convoqué devant un juge, on a reconnu votre image faciale lors d’une manifestation. Vous brisiez la vitrine d’une banque avec une sauvagerie exemplaire. Et pourtant vous venez tout juste de naître, vous êtes un bébé de trois jours. Mais la science ne peut se tromper, puisque ses errements sont les chemins de sa vérité : c’est bien vous qui brisiez la vitrine. Ce n’est pas une erreur judiciaire, la seule explication réside dans la croyance à la réincarnation : votre image faciale est celle d’un récidiviste d’actions violentes à Hong Kong, à Berlin, en Bolivie, à Paris, qui a dû être tué quelque-part, grâce aux Services Secrets, et qui s’est rapidement réincarné chez vous. Votre empreinte corporelle est nette, impossible de l’évacuer, de la raturer, et vous, petit bébé, vous naissez avec ce péché originel, et aucun théologien ne saurait plaider votre cause, ne reste qu’un pauvre avocat des causes désespérées, moi. Je pourrais exposer devant un juge laïc votre extrême jeunesse, votre incapacité à marcher, à parler. Mais il faudra des années d’expertises, de contre-expertises. Bien sûr, on reconnaîtra un jour votre innocence, mais vous risquez d’être mort de vieillesse quand la vérité éclatera. Je crois qu’il vaut mieux, pour éviter les arguties métaphysiques, les vaines batailles scientifiques, que vous admettiez d’emblée votre culpabilité : je le ferai à votre place, en votre nom. Cessez, s’il vous plait, de pleurer comme le bébé que vous êtes. Surtout, devant le juge, n’évoquons pas une révolte contre le capitalisme, vous êtes des millions à le faire, cela devient un artifice de prétoire. Non, restons dans le concret, et évoquons ensemble, moi en mots et vous en gémissements, votre souci de l’avenir de vos enfants, bien que pour l’heure il sera difficile de les envisager : ils ne devraient point craindre le froid, la faim, l’angoisse de ne plus trouver de l’argent dans un univers qui se réchauffe trop vite. Et profitons de votre actuelle aptitude à pleurer pour émouvoir la justice, le peuple. Vous ne risquez que quelques années de prison, je me suis déjà entendu avec le juge, et vous bénéficierez de remises de peine, je vous le jure. Mais, attention, ne vous énervez pas à l’annonce du verdict, restez humble, avec un beau sourire de bébé. Mais pourquoi vous m’étranglez, là, monsieur ? Si vous me tuez, je ne pourrais plus plaider l’absurdité de la fatalité des réincarnations ou l’ineptie du poids du péché originel, et qui pourra encore croire à l’innocence angélique des bébés !

1 commentaire

  • Monsieur Coupry,

    Je souhaiterais vous joindre pour vous poser une question à propos de votre père dans le cadre d’un travail littéraire et historique que j’effectue. Si vous voyez ce message, voulez-vous m’adresser un mail?

    D’avance merci.

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