blog de François Coupry

Vilaines Pensées 234 : Un Noël avec les Piano (2)

V

… une autre société, celle des commerçants des bourgs alentours : ces gens-là ignoraient l’existence de Voltaire ou de Rousseau, méprisaient les livres, les poèmes et les théâtres qu’affectionnaient ceux dont ils commercialisaient les créations, les viandes des élevages et les graines des céréales. Ces gens-là étaient grands, velus, avec des poils qui leur sortaient des oreilles et des chemises. Ils ne croyaient pas en Dieu, et criaient violemment leur pragmatisme avec leurs puissantes mâchoires.
Si l’on doit faire de la psychologie dans un roman réaliste et simpliste, notons que c’est avec inquiétude que M. Piano côtoyait ces gens d’affaires, qui semblaient partis pour bientôt prendre le pouvoir politique, mais notons que son inquiétude était feinte : notre ami savait que dans deux siècles ils auraient ce pouvoir total, et qu’il n’y avait nulle raison de s’angoisser pour un futur dont on connaissait les tragédies et les retournements.
Néanmoins, il fallait profiter de ces moments de grâce, d’autant plus qu’ils seraient éphémères, et nous partîmes gaiement nous promener sous un soleil froid. On avait ouvert les ombrelles, Piano, en perruque blanche et en culottes brodées, plaisantait avec sa fille, dans une sérénité qu’il n’avait jamais connue, madame Piano lutinait son gendre, ce barbu survenu d’on ne savait où. Quant à moi, je jouais à cache-cache avec Tengo-san et l’âne von Picotin. Clavecin-chat, pas fou, lui, était resté au chaud, au château : que c’est beau, un roman champêtre, idéaliste, idyllique !
Le peuple vint nous rejoindre, des paysans, des ferronniers, des maçons, des savetiers. Ils discutaient des théories de Newton, du meilleur des mondes selon Leibniz, ils flânaient avec les aristocrates : car la deuxième surprise de Piano, exilé venant d’un siècle laborieux et excité, fut de constater que le travail, en cet « ancien » monde, n’était qu’un beau passe-temps, avant que l’industrie démontre la fatalité d’un fardeau, pour changer le réel et le détruire. On fabriquait les échelles sans se soucier d’échéances, de concurrence, la terre choyait d’elle-même l’essor des choux-fleurs.
Il pleuvait, nous rentrâmes au château, en ce temps où les procès étaient candides et les châteaux ouverts à tous. Tengo-san se secouait : à quoi pensait-il, ayant parcouru l’Histoire humaine ? A rien, il laissait se cristalliser autour de lui l’insouciance merveilleuse d’avant la Révolution.
« Miaou ! » fit sur son coussin Clavecin-chat. Puis il se rendormit.

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