Avec Qfwfq, nous fîmes un très très long voyage vers la planète Terre, pour enquêter sur une manie chez les Terriens : des élections. Il s’agissait de désigner le chef, ou la chefesse, d’une ville en un pays d’Europe. Nous n’avions, en nos multiples têtes, aucune idée sûre et établie du système électoral de ces peuplades du cosmos. Les Terriens prétendent distinguer le Bien et le Mal, mots bizarres pour nous, et se classent eux-mêmes en deux ou trois sexes. Ils utilisent des signes primaires et simples, leurs images sur leurs ordinateurs le prouvent : quand ils sont contents, ont du plaisir, leur bouche se relève aux extrémités, tandis que s’ils ne sont pas contents, ont du déplaisir, leur bouche s’abaisse. Mais, il leur arrive souvent de masquer leur contentement avec des bouches vers le bas, ou de masquer leur mécontentement avec des bouches vers le haut, il faut deviner quand ils trichent ainsi, nous n’y arrivons pour l’heure jamais. Avec Qfwfq et avec nos autres compagnons de voyage, nous avons eu des difficultés pour saisir comment une chefesse ou un chef est élu. Selon la théorie de l’un d’entre nous, Slbls, on tirerait au sort un nom inscrit sur un bout de papier dans une urne. La plupart d’entre nous réfutent cette hypothèse, car on ne retient jamais le nom inscrit sur le premier papier tiré, on les tire tous et ensuite tout le monde crie après tout le monde. L’hypothèse la plus probable, c’est que cette histoire de bouts de papier est un leurre. Il s’agit évidement d’un tirage au sort, mais il ne s’appuie que sur un hasard mécanique et non sur un choix effectué par une main terrienne qui pioche dans une urne. Sans doute une loterie, comme à Babylone selon des historiens locaux, une roue qui tourne en coulisse et qui s’arrête de façon aléatoire sur un numéro qui se retrouve chef, chefesse. En effet, ce qui nous frappe, c’est que l’élue, l’élu, aussitôt affiche sur son visage une bouche contente, lèvres vers le haut, comme s’il ne s’attendait pas du tout à ce choix arbitraire et hasardeux. Un masque qui dissimule peut-être une bouche mécontente, lèvres vers le bas, comme si c’était mal. Car, dès sa désignation par cette roue invisible, le malheureux gagnant est sifflé, hué, traité de tous les noms qui ne sont pas le sien. — Ils n’y comprennent rien, ils pataugent, ces extraterrestres ! fit von Picotin, l’âne astrophysicien. — Et toi, tu comprends ? fit Tengo-san, le chien métaphysique. (Traduit par l’aigle de Xi. A suivre.)
Contes d’élections (I)
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