blog de François Coupry

VILAINES PENSÉES D’UNE HUMANITÉ ENFERMÉE – II (5)

V

Cette peste, ce choléra, ce virus qui rode de bouches en bouches, de postillons en postillons, cette pandémie qui nous paralyse dans la contagion de l’angoisse, sublime le triomphe de la science et de la médecine. Depuis une vingtaine d’années, on se méfiait des médecins, qui n’étaient jamais là, qui prenaient des rendez-vous pour dans six mois, qui vous faisaient poireauter dans les salles d’attente, qui râlaient sur leur condition mais ne savaient jamais quelle maladie pouvait vous anéantir, qui vous ordonnaient de longues analyses avant de vous prescrire un sirop de molécules adéquates, voilà qu’ils deviennent des héros, voilà qu’ils ont la science innée, voilà qu’on les supplie de nous aider, nous aimer, voilà qu’on les vénère, ils ne sont plus des charlatans, la science va nous sauver. Le problème, c’est qu’ils n’en savent, sur les corps vivants, pas plus ni moins qu’avant, mais ils n’ont plus la possibilité de dire ce qui honore tout scientifique : Je ne sais pas grand-chose. Car, d’eux, les Maîtres politiques des divers Empires attendent soudain la vérité vraie. S’ils avaient pu craindre que des pratiques magiques, mystiques, puissent de nouveau se substituer à leur savoir balbutiant, maintenant ils craignent que l’on exige d’eux des certitudes tout autant magiques, des conclusions rapides qu’ils sont bien incapables de donner devant un virus inconnu qui se propage plus vite que des chevaux éparpillés au galop, et dont tout le monde parle trop tous les jours. Et ils craignent que, n’arrivant point à rassurer profondément, l’adulation qu’aujourd’hui on leur porte ne se re-transforme en mépris. En une haine que déjà ils sentent poindre sous les sourires des malades, même quand, pour avoir la paix, ceux-ci sont plongés dans un coma artificiel, ou même quand on les remercie du fond du coeur d’une guérison, qui serait peut-être simplement miraculeuse. (6) Sous la façade d’une apparente communion, ce ne sont que des non-dits. De Brobdingnac à Balnibarbi, de Laputa à Lilliput, et jusqu’aux rivages des mers bleues, cernés de pins parasols, les grands Empires terrestres réfléchissent à ce dilemme : ou bien protéger avec affection l’ensemble des êtres humains, nos frères, nos soeurs, ou bien se soucier d’abord de la raison, de l’économie mondiale, profiter de cette catastrophe sanitaire pour se débarrasser des gens inutiles, des pauvres, des chômeurs et des malades chroniques, des obèses et des laids, et surtout des vieux, afin de purifier le paysage, d’assainir les populations et l’atmosphère, ce qui fut depuis toujours le but secret des guerres et justement des épidémies. Il n’y a aucune trace de ces discussions au plus haut niveau, et au final la pudeur feinte l’emporte : la plupart des grands et moyens Empires font semblant d’être bons, choisissent un équilibre charmant entre l’humanitaire et l’utilitaire. On confine chez eux des milliards d’individus, on les enferme pour leur éviter de rencontrer l’autre, dont le souffle est donc fatal. Mais que faire de ces prisonniers qui risquent de tout casser ? (7) Il y a des autorisations de sortie, que l’on remplit et signe soi-même, en précisant le jour, l’heure, le but de cette promenade qui n’est qu’une dérogation à la Loi, comme pour garder l’illusion d’une liberté qui n’existe plus. De même que l’égalité n’est plus qu’un vain mot : s’entasser à dix dans un trois-pièces en haut d’un immeuble où l’ascenseur sera inévitablement en panne, avec tante Agosta et les détestables enfants d’un premier lit, n’a pas le même sens que jouir d’un pavillon avec jardinet. Toutefois la fraternité, qui n’avait guère de sens autrefois, joue un certain rôle, celui d’une économie parallèle, de service et de proximité, d’entraide et d’amicaux trafics. Et, au fond, il y a, malgré tout, un certain bonheur qui n’osera jamais s’avouer : comme on ne travaille plus, ou de loin à travers les écrans criards d’ordinateur, comme le commerce s’est assoupi, comme il n’y a plus ou presque plus de circulation de trains, d’avions, le souci de l’argent et du lendemain devient trop dramatique pour être envisagé, et on a le sentiment d’une pause, d’une permission d’insouciance, d’une parenthèse de la vie, d’une jouissive absence de perspective, un pur plaisir du pur présent. Bref, une sorte de béatitude. (La suite demain matin…)

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