Mais, en cette béatitude, on se voit perpétuellement en train de mourir. Afin de conserver une certaine utilité au cœur de leurs ignorances, et croyant ainsi limiter la détestation renaissante de leurs concitoyens, les médecins vous décrivent charitablement à chaque instant ce que vous devez redouter, les symptômes du Mal. Ce qui, en réalité, redouble plutôt cette haine non-dite, les humains faisant presque toujours le contraire de ce qu’il faudrait. On vous rabâche à la télévision que : si vous avez de la fièvre, si vous toussez grassement, si vous avez une difficulté pesante à remplir vos poumons, il faut, non point s’affoler, mais vous inquiéter sérieusement. C’est mal connaître l’imagination de ces singes qui pensent trop. Car, vers les terribles cinq heures du matin, à part les enfants qui ne comprennent rien à ce que l’on ressasse sur les écrans, vous trouvez que vous avez des frissons glacés aux pieds, des picotements au dessus des globes oculaires, et que s’il vous prend l’envie respirer aussitôt vous avez une étouffante toux de cochon. De plus, on vous annonce d’autres symptômes facultatifs, perte de l’odorat, même le nez sur un parfum, tiraillements dans les cheveux, envie de péter après un plat de pois verts. (9) Si bien que, uniquement préoccupés par la phobie de ce virus, paniquant à l’idée d’un couloir d’hôpital surchargé de lits, de pompes à air et de respirateurs, vous négligez les douleurs en épingle d’un infarctus, les évolutions de vos cancers, les bras qui se cassent et autres bobos mineurs. C’est un mois après le début du confinement que, par exemple dans les déserts de sable auprès des volcans Aar’haha, blancs de poussière, une forte tête osera choper un médecin, lui tirant la blouse : « Je suis désolé de vous déranger, c’est lamentable, je n’ai pas de fièvre, je respire comme une marathonienne, je sens que vous avez mangé de l’ail, mais chaque fois que je bois un verre d’eau je vomis et j’ai le pied droit bleu, insensible. » Comme quoi, les maladies, quand elles ne sont pas médiatisée, restent des scories qui ne servent qu’à honorer les pharmaciens, nourrir les médecins, on peut les oublier, revenons aux choses sérieuses. (10) Nous vivons donc avec la mort aux trousses. C’est un peu comme sous un bombardement, d’ailleurs un certain Prince des Empires nous répète que nous sommes en guerre. Enfermés dans une cave, nous entendons les avions passer dans l’air, lâcher leurs bombes, et nous ne pouvons que penser : Ça y est, c’est pour moi, non, ouf, c’est tombé à côté. Nous avons découvert que, comme dans un système électoral et progressiste, nous ne sommes qu’un chiffre dans des statistiques. Chaque soir, des fleuves rouges le long des régions minières aux fleuves noirs sous les forêts humides, les Prêtres aperçus sur les écrans nous prodiguent la bénédiction des courbes et des équations : Vous avez X+1/100 de chances d’être attrapé par le virus, X+1/100 de chances d’éprouver les maux déjà amplement décrits, X+1/100 de chances de vous retrouver a) à l’hôpital, b) en réanimation, c) décédés, comme à la loterie. Quand les courbes, les chiffres, les équations s’inversent, c’est-à-dire, j’espère que vous me suivez, quand dans les cas de figure ci-dessus énumérés on annonce X-1/100 des chances, alors, triomphe des sciences soit-disant exactes, tout va aller bientôt mieux dans le meilleur des mondes et l’humanité, en ayant cloitré la plupart de ses membres, aura gagné, vaincu l’inconnu invisible, notre adversaire, exploit d’autant plus considérable que l’on ignore son identité et le nombre de ses divisions, de ses bombes et missiles aériens. (La suite demain matin…)
VILAINES PENSÉES D’UNE HUMANITÉ ENFERMÉE – III (8)
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