blog de François Coupry

VILAINES PENSÉES D’UNE HUMANITÉ ENFERMÉE – IV (11)

V

Et nous aurons la stupide impression d’avoir écrasé la Mort. A noter que l’on finira bien par mourir d’autre chose. A noter également que la mort n’existe pas, pour qui réfléchit cinq secondes. Car, ou bien, après le dernier soupir, on reste conscient, on visite d’autres mondes, l’Enfer peut-être, le Paradis peut-être, et donc on n’est pas vraiment mort, ou bien on s’endort sans jamais se réveiller, se souvenir de ses rêves, de sa vie, et ainsi n’a-t-on aucune conscience de s’être endormi, d’être mort, on ne le saura jamais. On ne meurt que pour les autres. Et on s’en fiche, on les a oublié, aussi, A ce propos, le Mal fait tant de cadavres, d’un coup, que les prévisions les plus pessimiste, nos belles statistiques, sont dépassées, on ne sait plus où les mettre. A Kraoust, Blog Moy, pauvre confinée, voit des tas de camions venir de loin sur la plaine, entre les maisons de bois, elle sort sans se signer une autorisation, le motif étant inacceptable. Elle voit des tas de cercueils de carton déversés dans des tranchées qui se prolongent à l’infini, et les fossoyeurs, dont les visages sont protégés par des têtes de cuir représentant des buses, des rapaces, les enterrent à grandes pelletées, en grommelant des chants. (12) Les vivants, eux, tournent en rond dans leurs prisons intimes. Maia Klamb, à Mirianari, au bord du lac salé sous le soleil, rêva une nuit d’une fable sublime : un homme nait, une porte s’ouvre devant lui. C’est un appartement bourré de meubles de diverses époques, des armoires, des fauteuils tarabiscotés, par une fenêtre on peut apercevoir un arbre lointain. Trois personnages y vivent déjà, un individu lourd, âgé, qui se déplace en se balançant, une femme blonde, fardée, vive et rieuse, un bébé hurleur qui a la manie de soulever les tapis pour se cacher dessous. Une voix surgit d’on ne sait où, s’adresse à celui qui vient d’entrer : « Ici Dieu. Ne me remerciez pas de votre naissance, et voilà votre monde, vous n’en sortirez jamais. Et voilà votre famille, vos proches, vous n’en connaîtrez jamais d’autres. Vous apprendrez à les supporter jusqu’à leur mort, jusqu’à votre mort. Je ne vous parlerai plus. » (13) Dès le mois de mai, les Princes, les Ducs, les Chefs et Cheffes de Police et surtout les super-Autorités médicales des Grands Empires terrestres, dont les sciences se révèlent de plus en plus aléatoires, décident de libérer les confinés, le nombre des mortels malades déclinant et les courbes mathématiques des statistiques montrant une diminution des pourcentages des lits occupés dans les hôpitaux, quand les morts continuent à s’enterrer dans les vastes cimetières improvisés, à Smorg où les cheminées des usines ne fument plus, à Los Callos où tous les habitants sont déjà au chômage. On peut enfin sortir, du moins un tantinet. Mais les mouvements des populations restent soumis à des lois sévères, restrictives. Des barrières sont érigées sur les trottoirs, afin d’endiguer les flux des libérés, qui ne peuvent cependant toujours point émigrer.On institue la pratique de bâtons, longs d’un mètre, que chacun tient à la main, brandit, pour tenir les concitoyens à distance, empêcher l’autre, cet ennemi, de trop s’approcher, de vous souffler au visage, dans les magasins d’alimentation, de vêtements, les bureaux des administrations. Ce qui provoque des blessures, des yeux crevés, les bâtons retrouvant vite leur destinée originelle de rosser, de rouer, de se battre en duel. (La suite demain matin…)

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