blog de François Coupry

Vilaines Pensées 241 : Le dégoût de la guérison

V

Dès son enfance, Lyghall Borgrave fut protégé de la mort. Par une mère abusive qui le confina dans des rites de précaution, de lavage des mains et du derrière, sous l’autorité d’une nurse qui, cinquante ans avant une célèbre pandémie, portait déjà quotidiennement un masque. On peut s’étonner qu’il survécut à cette prudence qui ne prédisposait point son corps à lutter contre les maladies, mais elles furent bénignes, il eut une santé de fer. Devenu enfin adulte, afin de profiter de cet état de grâce, et pour savoir jusqu’où il pourrait braver le sort, il ne visita aucun médecin, même s’il se sentait gravement patraque, et il négligea toute sécurité sociale : ces économies l’enrichirent, il bénéficia d’autant mieux de sa fortune. Mais voilà qu’en ce beau printemps 2020, un virus que l’on ne connait que trop lui donna l’occasion d’encore braver un sort triomphal. Il ne se confina point, fut souvent verbalisé par les polices sanitaires, mais côtoya de près les autres sans se préserver de leur souffle mortel. Or voilà qu’il fut pris par des rafales de toux, des fièvres et des essoufflements. Son entourage l’obligea à consulter les savants qui s’excitaient ces jours-là. Il eut beau se débattre, rien n’arrêta la ténacité de la médecine, on l’enferma en réanimation, on lui fourra des tuyaux partout, des respirateurs, on l’anesthésia pour son Bien. Si bien qu’il guérit, gifla les infirmiers contents d’eux, les infirmières semblables à la nurse d’antan. Guéri mais furieux, il apprit qu’il n’était pas le seul à souffrir de ressusciter, et surtout de ne devoir son salut qu’à la science. Par la bouche d’or de son ami Mario Piano, qui voyageait sans cesse du dix-huitième au vingt-et-unième siècle, il apprit également qu’en juin de nombreux chefs de service des hôpitaux furent égorgés par des vieux, des rescapés qui avaient souhaité fuir cette civilisation trop nulle, enfin connaître la réalité vraie de la mort, unique Savoir important et fondamental pour l’humanité. Lyghall Borgrave ne trancha, avec regret, la gorge d’aucun docteur, comme il en avait raisonnablement envie. Et M. Piano, en les exilant vers un dix-huitième siècle où la science n’avait point encore l’outrecuidance souveraine de prétendre connaître la Vérité, sauva quelques-uns de ces docteurs des griffes de ceux qu’ils avaient sauvés par hasard.

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