blog de François Coupry

Vilaines Pensées 243 : Un cadavre au télé-travail ?

V

Théoriquement, je suis mort. Pratiquement, ce n’est pas sûr. Dans l’effervescence des hôpitaux lors des fameux pics, vous ne saviez plus très bien si vous sortiez de réanimation encore vivant, on ne vous disait rien. Je me suis réveillé chez moi dans un cercueil, avec ma famille autour, les Diaz et les Poquitos Hernandez, les tantes en noir récitaient des rosaires, les cousines égrenaient les noms des saintes et des saints, j’avais un chapelet entre mes doigts blancs, ma veuve ne pleurait pas, semblait bizarrement rassérénée, et don Miura, mon employeur, me secouait, meuglait : — Hombre ! tu ne vas pas t’en tirer comme ça, mort ou pas tu continues en télé-travail, un comptable ne peut abandonner son poste, tu dois achever tes calculs, finaliser le bilan annuel, surtout avec les merveilleuses mathématiques quantiques que tu as inventées, où jamais 1 + 1 ne font 2, où l’on s’enrichit sans payer d’impôts, pas comme ces ringards des autres firmes qui en restent aux idéologies d’antan, le coronamachin c’est l’éclosion des sciences du futur, un monde tout neuf, au boulot ! Et don Miura me fourra mon ordinateur dans les pattes, par dessus le chapelet, ferma à moitié le cercueil, que je puisse respirer, on ne sait jamais, évacua en tapant des mains la famille et les pleureuses. Je me suis mis au travail sur l’ordinateur : si j’étais vraiment mort, vive la mort, car mon esprit vivace allait plus vite que les combinaisons numériques, j’expédiais un bilan du tonnerre de Dieu, j’avais la pêche ! J’appris, par les autres cadres de la société, venus prier devant mon cercueil entrouvert, que je n’étais pas le seul cadavre à travailler depuis son domicile. Aurait-on enterré beaucoup de morts-vivants pour inciter les humains à prendre les précautions sanitaires élémentaires ? De plus, on susurrait, paraît-il, dans les couloirs des cimetières, une autre hypothèse. Un bienfaiteur de l’humanité, un curieux Piano, voyageant dans le temps, aurait prédit au dix-huitième siècle la guérison rapide des malades dès avril 2020, et cette prophétie se serait réalisée ! Pourtant l’éthique des récits de Science-Fiction est rigoureuse : dans le passé, jamais on ne doit modifier le futur. Mais, nous ne sommes pas dans un fantaisiste roman de Science-Fiction, nous sommes vous et moi dans la réalité ! Alors, bon sang, dois-je continuer à travailler, ou bien suis-je guéri ?

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