Depuis le dix-huitième siècle où il s’était réfugié, M. Piano, par la bouche de l’âne astrophysicien von Picotin, avait entendu parler des efforts médiatiques considérables de son petit-fils Clavecin pour prouver l’existence d’une pandémie virale. Il se sentait responsable : avec le chien Tengo-san, il se rendit au mois de mai 2020 par les chemins habituels. La dernière fois qu’il avait visité cette époque, en avril, les rues étaient vides, les boutiques barricadées, les transports arrêtés, les êtres calfeutrés. Mais, aujourd’hui, ce 20 mai 2020, depuis qu’en 1777 il avait stupidement prédit une rapide guérison des futures épidémies, la situation dans le monde était parfaite, les humains voyageaient à qui mieux mieux, le commerce international était prospère, on embauchait à tire-larigot, dans l’euphorie on envisageait de joyeuses vacances d’août, et M. Piano était catastrophé, à cause de lui un récit antérieur bousculait les pendules. Affolé, il renoua avec les cercles secrets des médecins et des économistes patentés. Affolés autant que lui, ces savants n’y comprenaient rien : leurs études et leurs statistiques avaient prévus des morts, des récessions, des faillites et autres jolies tragédies qui ne s’étaient point concrétisées, quelle honte ! Il ne faut pas jouer avec le temps, les philosophes quantiques le savent, se disait Piano en se tirant les cheveux sous l’œil ironique de son chien Tengo, les pattes en l’air. Il retourna au dix-huitième siècle, vite réunit ses amis nobles, bourgeois et paysans sous le tilleul devant le château, leur annonça qu’il s’était trompé et qu’il y aurait durant les années 2020-2021 des cataclysmes sanitaires et financiers. Les gens en conclurent qu’un ivrogne racontait n’importe quoi, furent déçus, n’y pensèrent plus. Heureux d’avoir réconcilié un récit avec une soi-disant vérité historique, notre ami n’osa pas aller vérifier dans le futur si son repentir, cette nouvelle fiction, avait eu l’effet escompté, un universel désastre très réel. Il resta au dix-huitième siècle, refusa désormais d’analyser, théoriser ou raconter l’évolution de la vie terrestre, se consacra simplement à cultiver son jardin. Cette conclusion, il me semble l’avoir déjà lue quelque part, mais je ne sais plus où. Mon gâtisme, cette amnésie, me pousse à laisser la parole, à l’avenir, au chien d’Asie Tengo-san, qui saura mieux dire…
Vilaines Pensées 245 : Tout revient en ordre ?
V