Je vous ai déjà parlé des milliards de milliards de ficelles, de cordes, telles d’infinies toiles d’araignées, que nous les chiens nous voyons et qui enchaînent, entrainent les corps humains comme des marionnettes. Si les crustacés, les langoustes, y remarquent des fantômes, des cadavres-vivants familiaux qui se baladent dans leurs boyaux, ces marionnettes ficelées sont surtout manipulées par les âmes mortes, les Esprits transparents : c’est ce que les chats, et uniquement eux, perçoivent, paraît-il, précisément. Ainsi, Lady William est tiraillée dans tous les sens par des myriades d’âmes invisibles, immortelles, qui l’entrainent aujourd’hui à prendre sa voiture, se rendre au bureau de tabac afin de se remettre à fumer, acte soi-disant nocif qu’elle s’interdisait depuis des années. Ainsi Benjamin Wovzvitch, qui se rendait au soleil chez le médecin, est retourné par ces ficelles, ces cordes, et va se balader en forêt, il mourra de son cancer. Bien plus prégnantes que ces cadavres familiaux qui végètent dans les tripes et les poumons des êtres humains, les âmes éthérées décident de chaque aventure, de chaque acte. Il n’y a aucune liberté chez ces pauvres singes pensants, quand déjà ils saisissent qu’il n’y a nulle égalité, nulle fraternité. Tout est déterminé, imposé, les révoltes sont minimes, risibles. Les lecteurs de la mosaïque éclatée de ces Vilaines Pensées ont pu déjà en être informés : certains auteurs imaginent que ces déterminations ne sont point d’ordre cosmique ou métaphysique, plutôt d’ordre géographique, politique, économique. Ils ne veulent plus dire : « Hélène marche dans la rue », mais : « La pente de la rue fait marcher Hélène rapidement. » Ou, encore, ne pas dire : « Je vais manger chinois », mais : « L’élection de Donald Trump me pousse à éviter les hamburgers, à déguster du porc aigre-douce. » Ou, encore : « La chute des actions en bourse des compagnies d’aviation incite Vladimir à fermer violemment la porte de son appartement devant le beau visage de Micha que pourtant il désirait épouser. » Ou, encore, ne pas dire : « Moi, le chien », mais : « l’amertume d’un écrivain qui veut se faire remarquer me détermine à vous affirmer des réalités que nul ne souhaite entendre. » Et voilà que j’en ai assez d’être, moi aussi, une marionnette. Adieu, je vais me taire… Au moment-même, on l’aura je l’espère remarqué, où enfin je n’hésite plus entre les mots. Ainsi cessa de parler Tengo-san, extraordinaire chien.2 commentaires
Vilaines Pensées 253 : Paroles de Tengo-san (10)
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