je me souviens de tes cours à Naples, à Rome, à Séville, nous y assistions dans l’irritation et l’émerveillement, avec F.K., F.C. (que devient-il ?), J.Sw., I.C., M.B., D.B., J.L.B. et tant d’autres : tu nous parlais de l’incohérence humaine, de la multiplicité des caractères en chaque individu, de l’incompréhension, de la lutte des cultures et des points de vue, de l’impossibilité de dire vrai face au poids de la fiction, et tu nous répétais qu’il ne fallait jamais résoudre les contradictions, mais les accumuler. Un jour à Londres, quand nous savions que tu côtoyais les services secrets, tu nous disais que les abeilles n’étaient plus les bêtes ordinaires que nous connaissions depuis des siècles, mais des drones qui espionnaient les comportements humains, les pensées, pour les numériser. Or, depuis un mois, en Amérique du sud et sur tous les continents terrestres, les abeilles se multiplient, on les trouve derrière chaque rideau, dans nos verres, sous nos oreillers la nuit, elles nous envahissent comme si elles voulaient éliminer les prédateurs que nous sommes. Longtemps, j’ai pensé que c’était une parabole, car ce serait là une idée des plus paradoxales de Piano, peut-être le clou de son enseignement, que le combat pour la reconquête de la Terre par sa propre nature vivante soit conduit par des êtres artificiels, créés par l’humain, au secours Piano ! Terriblement inquiet, au milieu de ces abeilles bientôt souveraines, les écartant sans faire de gestes trop brusques, je suis revenu dans le village-hôpital de San Fernando, et là une autre surprise m’attendait : les murs blancs étaient bleus, les infirmières-religieuses n’avaient plus la même tête. Le lendemain d’autres infirmiers soignaient au milieu de murs jaunes, ce n’étaient plus les mêmes malades, ceux que je croyais déconfinés ou guéris étaient intubés, gonflés, obèses, les yeux vides. Et je songeais que tu m’avais souvent parlé, Piano, du don d’ubiquité des êtres et des choses dans l’infiniment petit, et j’étais sur cette planète, moi (ou pas moi), pauvre ridicule docteur Archimboldo de los Reyes, dans l’infini microscopique de ma petitesse, au secours Piano ! au secours ! Je ne peux plus vivre dans la lucidité vertigineuse de mon instabilité, et dans un tel univers décousu. Il faut que je te parle, que tu m’enseignes de nouveau la vie, toi et la glorieuse Madame Piano, je veux vous retrouver. Et je sais maintenant comment vous retrouver dans les temps passés où vous vous êtes réfugiés pour fuir comme moi un monde qui ne comprend plus. Je vais finir cette lettre et suivre son trajet : le chien Tengo-san m’avalera comme il a broyé de ses dents et avalé mes autres messages, qui te sont, je l’espère, parvenus. Oui, au petit matin, l’énorme bête blanche me mangera et j’irai dans le bel autrefois. AINSI S’ACHÈVE…
Vilaines Pensées 262 : Au secours, Piano,
V
Cher François, en fait j’essaie de te joindre à propos d’une publication d’Olbia … tu te souviens ! années lumières
François,
Je mets la dernière main à une publication des fouilles d’Olbia.
J’avais pensé à une double préface : moi archéologue héritier, toi enfant d’Olbia par ton père
Je peux t’envoyer une table des matières explicite
Amitiés
Michel